Les deux Chiens Stop (1825 - 1899)

« C'est toi, mon vieux Tayaut, je te revois enfin !
- C'est toi, mon cher Médor, ah ! quelle heureuse chance ! »
C'étaient deux Chiens, camarades d'enfance,
Qui, longtemps séparés, au détour d'un chemin,
Se retrouvaient par occurrence.
« Où vis-tu ? que fais-tu ? » demanda le premier,
Mon cher, dit le second, je mène bonne vie ;
J'ai, chez un Grand Seigneur, le poste de limier,
Un emploi que chacun envie
Et qu'au premier venu l'on ne peut confier.
A travers les monts et la plaine,
Au son des cors retentissants,
Nous poursuivons, sans perdre haleine,
Les Daims et les Cerfs bondissants ;
Puis ce sont festins et ripailles ;
On voit, écrits sur les murailles,
Nos noms, que lira l'avenir ;
Pour éterniser notre gloire
Nous avons des peintres d'histoire,
Et des valets pour nous servir.
Et toi ? — Moi, mon ami, mon sort est fort modeste ;
Mon maître est pauvre, et le destin funeste
L'a privé de ses yeux ; pour diriger ses pas
Il n'a que moi. — Comment ! Je ne te comprends pas !
Tu serais Chien d'aveugle ? - Hélas ! oui ! — Pauvre frère !
Que je te plains ! Mais, sur ma foi,
Je te sortirai de misère !
Il faut s'aider sur cette terre.
Laisse là ton aveugle, et viens vivre avec moi.
Je puis t'installer sans conteste
Dans un coin de notre château,
Et l'on te donnera, pour un coup de chapeau,
Le logis, la table et le reste.
— Mais ton maître est-il bon, dis-moi, mon cher Tayaut ?
— Bon ? Ma foi, je ne sais : à te franchement dire,
Nous le voyons fort peu, de loin ; le noble Sire
De sa nature est un peu haut.
- Eh bien ! mon maître, à moi, me connaît bien ; il m'aime,
Il est ma vie, et je suis tout pour lui ;
Je partage son pain, notre toit est le même ;
Je suis le seul ami qui lui restes aujourd'hui.
Merci de ton offre engageante,
Mais mon cœur y reste fermé;
Les grandeurs n'ont rien qui me tente :
Le vrai bonheur, c'est d'être aimé. »

Fable 40




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