Près du lavoir où savonnait
Une petite lavandière,
Un beau Cuirassier conduisait
Deux chevaux boire à la rivière ;
Le cavalier sentit, devant l'aimable enfant,
Son cœur battre la générale ;
Il lui lança sournoisement
Une œillade sentimentale.
Mais Apollon lui-même, avec de gros sabots,
Une veste râpée, un pantalon de bure,
N'aurait pas meilleure figure
Que le plus chétif des nabots ;
Aussi, sur un tel subalterne
Dédaignant de jeter les yeux,
La belle le laissa rentrer à sa caserne,
La tète basse et le regard piteux.
Le lendemain, jour de revue,
Notre Cuirassier dans la rue
Passait sur son grand cheval gris ;
Tout à coup dans une boutique
Il a perçut, rose et pudique,
La Blanchisseuse magnétique
Objet de ses vœux incompris !
Il resta cloué sur la place,
Rougissant comme un écolier,
Le cœur serré sous sa cuirasse
Dont le soleil dorait l'acier :
« — Dieu, s'écria la blanchisseuse,
Le bel homme ! — Bientôt après,
Monsieur le Maire pour jamais
Les unit : elle fut heureuse.
En vain on voudrait abroger
Les panaches et l'uniforme ;
Croyez-moi, c'est une réforme
Qui ne serait pas sans danger.
Figurez-vous, à la parade,
Un général en habit noir
A cheval devant sa brigade !
Il serait fort cocasse à voir.
C'est fâcheux, mais l'espèce humaine
Est ainsi faite ; on ne la mène
Qu'en la chamarrant d'oripeaux ;
Vers les gens galonnés la foule se dirige,
Et si nos Députés, qui ne sont pas tous beaux,
Se costumaient en Généraux,
Ils quadrupleraient leur prestige.