Le Concierge et la Sentinelle Stop (1825 - 1899)

Un Ministre sortait un soir
De son hôtel en équipage.
Le soldat qui, suivant l'usage,
Se promenait sur le trottoir,
D'un œil admiratif suivait le personnage.
Le suisse, un vieux malin, philosophe et sournois,
En fermant sa porte cochère,
Du coin de l'œil guignait le militaire :
« Eh ! eh ! l'ami, dit-il à demi-voix,
Vous l'avez vu, c'est le Patron, mon maître !
Vous seriez fort aise, peut-être,
Si l'on vous proposait d'échanger votre sort
Contre le sien ? Eh bien, vous auriez tort !
Avant peu vous pouvez prétendre
Aux sardines de caporal ;
De là vous passez général :
La gloire est à qui veut la prendre.
Vous, vous pouvez monter, lui ne peut que descendre.
La voix du moindre Député
Peut, dans quelque importante affaire,
Déplacer la majorité,
Et voilà mon Ministre à terre !
En résumé, mon poste est meilleur que le sien ;
Je reste, moi, quoi qu'il advienne,
Et mon plumeau tient plus ferme en ma main
Que son portefeuille en la sienne. »
Ainsi parlait le vieux bavard.
Un employé du Ministère,
Qui par là passait par hasard,
L'entendit ; à son chef il raconta l'affaire.
Mon imbécile, impitoyablement chassé,
Une heure après partait,, le nez baissé,
Et défilait, sans tambour ni trompette,
Devant la Sentinelle impassible et muette.

Bien fol est qui se croit certain
Du lendemain sur cette terre ;
Petits ou grands sont des grains de poussière
Qu'un souffle emporte un beau matin.

Fable 41




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