Les Singes et les Chiens Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Certain industriel de singes faisait voir
Au milieu d'une foire un complet équipage
Que lentement traînait, du matin jusqu'au soir,
De chiens tout essoufflés un nombreux attelage.
Sur le siège, singeant l'air grave d'un cocher,
L'un deux, vilain magot de la plus laide espèce,
Semblait, armé d'un fouet qu'il agitait sans cesse,
A lui seul faire tout marcher.
Les autres, effrontés paillasses,
Grands maîtres en fait de grimaces,
Gambadaient sur le char, s'accrochaient en tous sens,
ient des poses oratoires,
Faisaient habilement manœuvrer leurs mâchoires
À la face des assistants,
En un mot, attiraient sur leur troupe bruyante
Les regards de la foule à la bouche béante.
Un spectateur apercevant
Tout près d'un pâtissier l'ambulante boutique,
Achète et fait pleuvoir sur le peuple mimique
L'humble fonds de ce commerçant.
Pourvus, comme l'on sait, d'une extrême souplesse,
Tous nos singes alors de grimper à l'envi
Et de happer avec adresse
Le gâteau qui d'un autre est aussitôt suivi ;
Tant et si bien qu'enfin, dans tout ce gaspillage,
Nos maîtres bateleurs, jusqu'au menton repus,
Ne laissèrent tomber sur le pauvre attelage
Que des miettes et rien de plus.

De la société telle est souvent l'image.
Que de gens de mérite oubliés, repoussés,
Et d'intrigants récompensés !

Livre III, fable 8




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