Le peuple singe un jour voulait élire un roi.
Ils prétendaient donner la couronne au mérite ;
C’était bien fait. La dépendance irrite,
Quand on n’estime pas ceux qui donnent la loi.
La diète est dans la plaine ; on caracole, on saute ;
Chacun sur la puissance essaye ainsi son droit ;
Car le sceptre devait tomber au plus adroit.
Un fruit pendait au bout d’une branche assez haute ;
Et l’agile sauteur qui saurait l’enlever,
Était celui qu’au trône on voulait élever.
Signal donné, le plus hardi s’élance ;
Il ébranle le fruit ; un autre en fait autant ;
L’autre saute à côté, prend l’air pour toute chance,
Et retombe fort mécontent.
Après mainte et mainte secousse,
Prêt à choir où le vent le pousse
Le fruit menaçait de quitter.
Deux prétendants ont encore à sauter.
Ils s’élancent tous deux ; l’un pesant, l’autre agile ;
Le fruit tombe et vient se planter
Dans la bouche du malhabile ;
L’adroit n’eut que la queue, il eut beau s’en vanter.
Allons, cria le sénat imbécile ;
Celui qui tient le fruit doit seul nous régenter.
Un long vive le roi fend soudain les nuées ;
L’adresse malheureuse attira les huées.
Oh, oh ! Le plaisant jugement !
Dit un vieux singe ; imprudents que nous sommes,
C’est par trop imiter les hommes :
Nous jugeons par l’événement.
L’histoire des singes varie ;
Sur cet évènement il est double leçon.
Pour l’un et l’autre cas la nation parie ;
Je doute aussi du vrai ; mais l’un et l’autre est bon.
On dit que le vieux singe affaibli par son âge
Au pied de l’arbre se campa.
Il prévit en animal sage,
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chute il l’attrapa.
Le peuple à son bon sens décerna la puissance ;
On n’est roi que par la prudence.

Livre I, fable 10






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