La Ronce et le Jardinier Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

La ronce un jour accroche un jardinier :
Un mot, lui dit-elle, de grâce ;
Parlons de bonne foi, gros Jean, suis-je à ma place ?
Que ne me traites-tu comme un arbre fruitier ?
Que fais-je ici planté en haie,
Que servir de suisse à ton clos ?
Mets-moi dans ton jardin, et par plaisir essaie
Quel gain t’en reviendra ; je te le promets gros.
Tu n’as qu’à m’arroser, me couvrir de la bise :
Je m’engage à rendre à tes soins
Des fruits d’une saveur exquise,
Et des fleurs qui vaudront roses et lys au moins.
J’en pourrais dire davantage ;
Mais j’ai honte de me louer.
Mets-moi seulement en usage,
Et je veux que dans peu tu viennes m’avouer
Que je vaux moins encor au parler qu’à l’ouvrage.
C’est en ces mots que s’exhalaient
L’amour propre et l’orgueil de la plante inutile.
Gros Jean la crut en imbécile.
Du temps que les plantes parlaient
On n’était pas encore habile.
On transplante la ronce ; on la fait espalier.
Loin qu’on s’en fie à la rosée,
Quatre fois plutôt qu’une elle était arrosée ;
Pour elle ce n’est trop de gros Jean tout entier.
Comme elle l’a promis, elle se multiplie ;
Elle étend sa racine et ses branches au loin.
Sous ses filets armés tout se casse, tout plie ;
Fruits, potager, tout meurt ; les fleurs deviennent foin.
Gros Jean reconnut sa folie,
Et n’en crut plus les plantes sans témoin.
Pour qui se vante point d’oreilles.
Telles gens sont bientôt à bout.
À les entendre, ils font merveilles ;
Laissez-les faire, ils gâtent tout.

Livre I, fable 9






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