Les deux Singes John Gay (1685 - 1732)

Les Erudits, au dedans pleins d'orgueil,
Se moquent du frou-frou que le fat jette à l'œil !
De son côté le fat, doublé d'impertinence,
Se moque du pédant comme de la science.
L'Espagnol se drapant dans son air solennel,
Méprise des Français l'air superficiel,
Tandis que celui-ci rit du sot formaliste
Qui parle, marche et rit comme un gymnosophiste.
De chacun d'eux offrant un mélange, l'Anglais
Grave autant qu'Espagnol, tout autant que Français
Impertinent, se croit le plus sage du monde,
Et rit de tous les deux ; -or, chacun d'eux le fronde.
Hors la loi le poète est mis par l'orateur,
Et la prose à l'index par l'improvisateur ;
Enfin l'homme se rit du Singe et de sa clique,
Et le Singe à son tour se rit de son critique.

Deux Singes, deux amis, bras dessus, bras dessous
S'en furent à Southwark pour visiter la foire ;
Leurs regards pleins de fiel, leurs propos aigre-doux,
Disaient assez qu'ils en faisaient l'histoire.
A travers gens groupés autour d'un baladin,
A coups de coude, ils se frayent chemin,
Puis prenant des billets pour le prochain spectacle,
Tous deux au premier rang arrivent sans obstacle.
Leur aspect solennel et comique à la fois
Provoqua dans la salle un rire assez narquois.

"Frère, dit l'un à l'autre, en retournant la tête,
Il me paraît qu'ici le bas peuple est bien bête !"

La baraque à ces mots retentit de sifflets ,
Et de cris à la porte, à la porte muguets !

A ce bruit toutefois succède un long silence ;
Chut ! chut ! le spectacle commence.
Soudain le bateleur
Avec des sauts de carpe a mis en bel humeur
Son monde, qui s'amuse à voir un si bon drille ;
Bientôt sous les pieds du danseur
La corde raide et bondit et sautille ;
Et puis en l'air parait le voltigeur
Qui se cramponne au mur, puis se recroqueville,
Qui se suspend d'un pied, et puis fait la chenille,
Et la foule joyeuse applaudit de tout cœur.

Alors Jocko : "Si tous ces tours burlesques
Vous plaisent tant, ô Singes gigantesques
De la raison, combien vous plairaient-ils nos arts ?
Vous vous croyez hardis en faisant les lézards ;
Mais nous, notre savoir vaut bien mieux que le vôtre,
Car nous pouvons sauter d'un bond d'un arbre àl'autre :
Cependant je vous vois avec certain plaisir
A ces tours imparfaits crânement applaudir,
Vous honorez par là notre souplesse!"

"Frère, tu parles d'or ! répond son compagnon,
6L'homme par ses bravos fait preuve de sagesse ;
Mais n'est-ce pas qu'il a bien du guignon,
Alors qu'il veut aller plus loin que le modèle ?
De son orgueil imitateur
Je ris, car je vois la ficelle
Des tours de ce pauvre jongleur ;
Que c'est farce, bon Dieu ! de le voir avec zèle
Se tenir droit debout comme un piquet
Parce que quelquefois, nous marchons sur deux pattes :
Je déteste ces acrobates,
Et je dis volontiers : 'Haro sur le baudet !' "

Livre I, fable 40




Commentaires