Le Hibou et le Fermier John Gay (1685 - 1732)

Un Hibou d'un port grave et d'un air magistral,
Qui comme le Grand Turc était peu matinal,
Avait choisi son poste au hangar d'une grange,
Il pouvait de ce lieu tirer lettre de change
Sur une proie . . . ou bien méditer à loisir.
Sur une poutre en haut il berçait son dormir.
Ainsi j'ai vu souvent un homme, un nouvelliste
Lire soit le Courrier ou soit le Publiciste,
Fumer, puis faire un somme, et puis spécifier
Ce que serait demain le sort du monde entier.
Sur le plancher, des gerbes fort nombreuses
Cachaient les appentis et les poutres douteuses.
Au point du jour voulant énumérer son grain,
Le fermier arriva soudain.
Alors Mons le Hibou de son air d'importance
De donner ainsi cours à son outrecuidance :

"De l'homme la raison-Vaine prétention!
Son esprit quel est-il ? Une aberration.
Traiter avec dédain de la nuit l'étincelle
Le Hibou-montre bien qu'il n'a pas de cervelle.
Et puis voyez le " foin " de tous ses jugements?
Et comme il sait placer ses compliments!
L'Alouette a pour lui d'innumérables charmes,
Le Rossignol lui soutire des larmes,
Mais tout le peuple oiseau juge plus sainement,
Sur mon visage auguste il voit assurément
Les insignes de la sagesse !
Et lorsque par hasard au jour
Je daigne me montrer, près de moi l'on s'empresse,
Et je traîne à ma suite une nombreuse cour. "

Le Fermier rit d'abord, puis fit cette réponse :
" Outrecuidant monceau d'orgueil,
Dont le bon sens ne pèse pas une once,
Qui sur le beau ferme l'oreille et l'œil,
Avec ton cri rauque, dur et sauvage,
Des oiseaux, oses-tu, critiquer le ramage?
Apprends par moi, vieux fou,
Que chacun te connait et te sait un Hibou.
Et ne te targue pas de qui vient à ta suite,
Les sots suivent les sots, et sont les plus nombreux ;
La sagesse, au contraire, est aujourd'hui réduite
Au petit nombre, mais la qualité vaut mieux
Que le fretin sans-cesse à ta poursuite."

Livre I, fable 41




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