Le hibou, le Bouvreuil et la Colombe Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Triste oiseau le Hibou se cachait de son mieux,
Loin du soleil et loin des yeux,
Dans les fentes d'une masure.
C'était le temps si doux où la riche nature
Couvre de ses dons gracieux
Les coteaux, les vallons, les arbres, la verdure ;
Où tout jouit, sous la voûte des cieux.
Perché dans le plus frais feuillage
D'un bel arbre dont les rameaux
Venaient se réfléchir dans les plus belles eaux,
Un Bouvreuil au brillant corsage
Sifflait, parlait, et de ses chants nouveaux
Charmait l'écho du voisinage.
Une blanche Colombe à côté gémissait,
Qui sans doute réfléchissait
Aux longs dangers que sa soeur en voyage
Allait courir sur un autre rivage.
— Colombelle, dit le Hibou
Que le Bouvreuil fatiguait dans son trou,
Ta voix si douce et ta plainte innocente
Me vont au coeur. Je m'en rapporte à toi ;
Viens prononcer entre Bouvreuil et moi?
Notre vie est bien différente.
Ce léger, ce bruyant voisin,
Etourdi, sans expérience,
Jusqu'au soir depuis le matin,
Finit sans cesse et recommence
Son bout ennuyeux de refrain,
Sans s'occuper du lendemain,
Et sans voir que sa voix follette
Peut attirer le lacet ou la main
De maint oiseleur qui nous guette.
Qu'il est loin de sentir le goût de la retraite,
Et combien il est de faveurs
Pour qui fuit les hommes trompeurs !
.— Non, non ! charmante Colombelle,
Reprit aussitôt le Bouvreuil, '
N'écoute pas sa voix cruelle.
Va, toute sa sagesse est malice, est orgueil.
S'il se cache dans ce repaire,
Loin des pures clartés du jour,
C'est qu'il ne peut voir la lumière,
Et que les oiseaux d'alentour
Insulteraient à sa laide figure.
Trop juste horreur de la nature,
S'il fuit toute société,
A vivre seul s'il se décide,
Ma soeur, c'est que sa cruauté,
Chaque soir, le rend homicide.
Oh ! crains de le voir à minuit !
Car, pour nous tous, tant que nous sommes,
Malheur, mort, à qui ne le fuit !
Pour moi, je suis l'ami des hommes,
Et, dès que le soleil reluit,
Sans nul remords, je m'évertue
A leur répéter mon refrain ;
Je les amuse et les salue,
Pour obtenir un peu de grain.
L'hiver j'entre dans la chaumière,
Pour fuir la glace et les frimas,
Et la famille hospitalière
M'appelle et veille tout entière
A me préserver du trépas.
Lorsque sans remords est la vie,
On n'a pas de mélancolie,
Et, quand on aime son prochain,
Lorsque le coeur est sans envie,
Vive la joie ! on ne craint rien;
On pense à peine au lendemain.
Tu peux parler, ma soeur, je crains peu ta sentence.
— Gentil ami, chante toujours,
Dit-elle en soupirant : la bonne conscience
Au coeur fait fête tous les jours.
Mais, crois-le bien, quelquefois l'innocence,
Sans remords, voit troubler le cours '
De sa plus pure jouissance.

Toujours joyeuse est l'innocence.
Et toi, Mélancolie, es-tu mal, es-tu bien?
Oui, mal au coeur pervers que le remords déchire,
Ou qu'entraîne un trompeur délire ;
Mais trésor, doux trésor pour l'âme du chrétien,
En qui la charité soupire.
Si ta tristesse est là, jeune homme, va, c'est bien,
Mon cœur en l'apprenant respire.

Livre II, fable 2




Commentaires