La Colombe et le Hibou Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Sortie à peine de l'enfance,
Et sentant déjà dans son cœur
S'évanouir l'heureuse insouciance
Qui du jeune âge assure le bonheur,
Une colombe, tendre, aimante,
Seule, en silence, au bois se plaisait à rêver.
Son regard était morne, et sa voix gémissante.
Un hibou, d'humeur bienveillante,
L'œil doux, un peu censeur, la voyant arriver:
« Mon enfant, lui dit-il, pourquoi cet air si sombre ?
Quelle peine, en ces lieux, viens-tu cacher dans l'ombre ?
— Des peines ! moi ! je n'en ai point.
— Ton cœur gémit... — Oui, je suis triste,
Et pourtant je n'ai nul besoin ;
Mais j'y pense.. un mal... s'il existe...
C'est là, dans mon sein... je voudrais...
Je ne sais quoi ! — Je le sais, moi, je gage ;
Ma vieille expérience a compris de ton âge
Les désirs inquiets, naissants... — Quoi ! moi, j'aurais...
— Eli ! oui, ton âme pure et tendre,
Au plus noble penchant hésite de se rendre,
Pour elle encor tout est nouveau,
Elle a soif de bonheur !... l'amitié, le plus beau,
Le plus doux des liens, honore un cœur sensible.
— Oui, tu dis bien... mon cœur... l'amitié... ce penchant
Que nul mot ne peut rendre, et qu'on sent en aimant,
Ce besoin d'amitié me semble... irrésistible !
Ce secret don du ciel explique mon tourment ;
Adieu, je pars ; je cours me chercher une amie...
Adieu donc... — Un moment ; il ne faut pas chercher,
Mais trouver une amie... elle aime à se cacher,
Et 11e s'ouvre qu'à ceux qui, pleins de sympathie,
La devinent d'abord, et l'aiment aussitôt.
— C'est donc un trésor introuvable ?
— Pour des cœurs mal formés. — Moi, verrai-je bientôt ?...
— Pour choisir une amie, il faut plus qu'être aimable,
Il faut apprendre à craindre une fausse amitié.
— Quels signes m'apprendront... — Flatteur est son langage ;
Son cœur, intéressé ; son air, étudié.
Une amie estimable est franche, aimante et sage.
— En un mot, dis, à quoi la connais-tu ?
— A son amour pour la vertu ! »

Livre V, fable 8




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