Un Pigeon des forêts, sauvage et franc Ramier,
Trouva Colombe domestique
Qui seule s'égayait loin de sa tour antique.
11 approche ; elle attend sans se faire prier.
Colombes et Ramiers sont de même origine :
L'accueil entr'eux, on le devine :
Baisers et de frère et de sœur
N'ont point ce feu, cette douceur,
Ni cette impression profonde :
De la Colombe et du Pigeon,
Baisers sont réputés, sans doute avec raison,
Pour les premiers baisers du monde.
C'est don du Ciel : tous Pigeons sont venus
De cette belle Perystère
Qui traînait le char de Vénus ;
Et des baisers d'Amour et de sa Mère
Que Perystère au Ciel avait reçus,
En droite ligne sont issus
Ceux que Pigeons donnent sur terre.
Après ce bonjour amical,
Ce tendre cérémonial,
Que n'égala jamais la plus noble étiquète,
Le bon Sauvage avec candeur
Dit : nous sommes parents, et je sens à mon cœur
Qu'ensemble nous aurions félicité complète ;
Mais vous dansvotre tour, moi toujours dans mes bois,
Nous nous voyons ici pour la première fois.
Avec moi, libre enfin, prenez votre volée :
Allons chercher pays nouveau,
Autre montagne, autre vallée,
Et ne retournez plus à votre vieux château.
La douce et prude Colombelle
Résiste, chose étrange ! au plaisir qui l'appelle :
Elle n'était plus jeune, et le dit franchement,
Autre sujet d'étonnement.
Que dirait-on d'elle, à son âge ?
Puis, les dangers d'un long voyage :
N'a-t-il pas entendu certain récit touchant
D'un Pigeon de leur voisinage,
Qui d'un lointain pèlerinage
Revint mouillé, plumé, blessé par un enfant,
Et que son malheur rendit sage ?
Elle restera donc. L'autre insiste : comment,
Avec cette extrême sagesse,
Peut-elle confier sans cesse
Aux murs de cette horrible tour
Ses œufs, que toute Mère, Oiseau de toute espèce,
Chérit, comme on chérit le jour ?
Vous couvez pour autrui les fruits de tant d'amour.
En plumes leur duvet se change et croît à peine
Qu'un Maître les attend à sa table inhumaine :
Autant vaudrait couver et pondre pour l'autour.
Le cœur de la Colombe, à cette triste image,
Se gonfla, laissa même échapper un soupir.
Un second se faisait passage ;
Mais elle sut le retenir.
Nous faisons tous ainsi ; parmi nous c'est l'usage,
Dit-elle ; et quittant le Ramier,
Aussi rapidement que dans son plus jeune âge
Elle s'envole au colombier.
Soumis au joug de l'habitude,
L'âme perd son ressort, son élan, son ardeur ;
Et la Nature même est morte dans un cœur
Dépravé par la servitude.