Les deux Pigeons sauvages Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Deux pigeons sauvages
 Unis par l’amour,
 Un jour,
 Vers d’autres rivages
 Prirent leur essor.
Ah ! pourquoi fuyaient-ils le lieu qui les vit naître ?
 Voulaient-ils donc connaître
 S’il est plus doux trésor

 Pour les oiseaux et pour les hommes,
 Dans ce monde où nous sommes,
 Qu’un amour tendre partagé
Près d’un berceau qui chante ou d’un nid ombragé ?

 Ils virent des forêts superbes,
 Ils virent des cieux éclatants,
 Des lieux qu’un éternel printemps
Voile de vives fleurs et d’odorantes herbes ;
 Ils entendirent de doux chants ;
 Ils entendirent, dans les champs,
Passer, comme un soupir, la brise parfumée ;
 Ils entendirent, dans les bois,
De l’aurore et du soir les ineffables voix
Moduler doucement — prière accoutumée —
 Des hymnes saints pour le Seigneur ;
Puis ils volaient toujours. Et dans leurs folles courses
 Toujours ils s’éloignaient des sources
 Du vrai bonheur.

Mais un jour cependant ils plièrent leur aile
 Et se construisirent un nid.
 Le même soir qu’on le finit
Un oiseau carnassier qui cherchait la querelle
 Vint en prendre possession.

 Pour fuir la persécution
Nos jeunes voyageurs s’envolèrent encore :
 Et leur vol rapide et sonore
Alla s’abattre loin, dans un bosquet d’ormeaux
Dont le feuillage vert séparait deux hameaux.
Quand nos cœurs sont blessés nous allons, loin du monde,
Des oiseaux et des fleurs demander l’amitié ;
Mais les petits oiseaux, dans leur peine profonde,
Se rapprochent de l’homme et cherchent sa pitié.
 Notre couple fidèle et tendre
 Sentit se calmer ses tourments,
 Et sous les feuilles fit entendre
 De suaves roucoulements.

L’allégresse ici-bas est de courte durée
 Et la paix la mieux assurée
 S’évanouit en un moment.
 Le couple charmant
 Que l’amour embrase,
 Le couple joyeux,
 Comme des perles dans un vase,
A mis des œufs mignons au fond d’un nid soyeux,
 Mais une vieille pie
 Vient, d’une grifse impie,
 Cruellement broyer
 Cet espoir du foyer.

 La joie est revenue
 Dans le nid de l’amour
 Qui devient le séjour,
 D’une ivresse inconnue.
 Dites, beaux compagnons,
 Est-ce rêve ou chimère ?
 Quels petits tout mignons
 Sous l’aile de leur mère
 Cherchent un sûr abri ?
 Vous volez, à leur cri,
 Dans le bois ou la plaine
 Recueillir une graine
 Pour apaiser leur faim.
 Ils vont, et gentils et précoces,
 Essayer leurs ailes enfin.
Et vous toujours si doux, vous devenez féroces
 S’il faut les protéger
 Contre quelque danger.

Ce fut un temps heureux, le plus beau de la vie
 Pour nos pigeons,
 Mais abrégeons :
 Cette allégresse fut suivie
 De tristesse et d’anxiété.
 Après les beaux jours de l’été

Survint l’hiver avec ses mortelles haleines :
Le frimas sur le nid tomba comme un linceul.
 Notre couple était seul :
Nul ne le visitait pour adoucir ses peines.

Au village voisin était un colombier
 Où les pigeons faisaient fort bonne chère.
On ne recevait là que le rare gibier.
Les places s’y vendaient quelquefois à l’enchère
 Ou s’y donnaient par sentiment,
 Comme en certain gouvernement.
 Notre pigeon, chef de famille,
Pour sauver ses petits, sa compagne gentille,
 Alla frapper tout droit
 En cet endroit.
On l’éconduit, riant de sa folle entreprise,
Et ce fut pour son cœur une amère surprise.
 Il s’en revint désespéré :

— Pas de place pour nous ? fit la douce femelle,
 En voyant son air éploré.

— Pas de place pour nous !

 — Eh bien ! j’irai, dit-elle,
 Et l’on verra.

 — Elle ira !
 Dit avec ironie
 Le père malheureux,
 Ce sera pour nous deux,
 Va, nouvelle avanie !

 Elle partit pleine d’espoir,
 Elle revint toute rieuse.

 — Es-tu donc sérieuse ?
Parle, dit son ami.

 — Nous irons dès ce soir.

Le soir, au colombier on leur fit une place
 Qui parut fort leur convenir.
Des mauvais jours passés ils perdirent la trace,
Ils purent sans frayeur regarder l’avenir.
 Or, au bout de quelques années,
 À l’époque des fleurs fanées,
 Le pigeon, fort bien mis,
 Vint voir les vieux amis.
 On lui trouva mine excellente.
 Grâces exquises et bon ton ;

 On s’informa de sa galante.
 Il raconta dans le canton
 Comme elle avait, en sa jeunesse,
 Par son zèle et par sa finesse,
Trouvé pour leur misère un heureux dénoûment.
Un vieux qui l’entendait dit en branlant la tête —
C’est pour mon fabliau morale toute prête —

— Dieu garde les maris d’un pareil dévoûment !

Livre IV, fable 14




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