Un renard, moins rusé que ceux de son espèce,
Était sorti des bois
Aux abois,
Ne trouvant pas une pièce
De bon gibier.
Il avait souvenance
D’un fameux colombier
Où les pigeons faisaient bombance :
Jadis il l’avait vu de loin.
C’était toujours une ressource
Dans le besoin.
Ce fut donc vers ce lieu qu’il dirigea sa course.
Il avait faim : il courait fort.
Quand on a le confort
Jamais on ne se presse,
Mais quand on se sent mal
La lenteur nous oppresse.
Notre souple animal
Par une route raccourcie,
Sur la neige durcie —
Car on était en plein hiver —
Arrivait et joyeux et fier,
Quand, à la porte d’une étable,
Il vit un vieux coq qui chantait.
— C’est un mets, se dit-il, qui me semble acceptable,
Et naguère on s’en contentait :
Croquons-le tout d’abord et les pigeons ensuite.
Dire et faire c’est deux, même pour un renard.
Le vieux coq suspendit, sans attendre plus tard,
Son gai couplet et prit la fuite.
Le renard le suivit,
Et je crois qu’il allait l’atteindre,
Quand, tout à coup, il vit
Sur la neige se peindre
Le vol rapide des pigeons.
Aveuglé par la joie,
Il quitte alors sa proie.
— Quel dîner nous nous ménageons !
Se dit-il en lui-même en courant après l’ombre :
Ce vieux coq n’avait rien que la plume et la voix !
Parlez-moi des pigeons ! ça pèse et ça fait nombre.
Je n’en aurai jamais autant pris à la fois !…
Tout en monologuant il courait gueule ouverte,
Tout alerte ;
Or, il courut si follement
Qu’il en mourut d’épuisement.
Nous faisons du renard la sottise suprême
Lorsque, les yeux fixés sur le monde trompeur,
Nous prenons l’ombre du bonheur
Pour le bonheur lui-même.