Les deux Pigeons et le Seigneur Léon Riffard (1829 - ?)

Deux époux très bons, très fidèles,
Vivaient sous même toit : indicible bonheur !
Jamais un mouvement d'humeur.
Rien n'avait pu troubler leur mutuelle ardeur,
Et pourtant ils avaient des ailes.
Car il ne s'agit pas de vous, ami lecteur,
Vous l'avez deviné sans peine.
En fait de constance et de cœur,
Ne citons pas l'engeance humaine.
Nos héros habitaient un joli colombier,
Tout enguirlandé de verdure.
Pagode en style indien : une miniature !
À la pointe de la toiture
Un ramier
Par tous les temps, pluie ou tempête,
A tous les assauts faisant tête,
Ouvrait au vent
Son aile peinte sur fer-blanc.
C'est là que nos époux-modèles,
Plus amoureux que tourterelles,
Toujours pondant, toujours couvant,
Leurs pigeonneaux toujours gavant,
Eussent joui d'un honneur sans mélange,
Si l'homme, cet affreux larron,
Qui tout dérobe, et qui tout mange,
N'avait de temps en temps visité la maison.
Et chaque fois, du nid à la cuisine,
Pour la compote ou pour la crapaudine,
Ils ne faisaient qu'un saut, hélas ! les chers enfants,
Sous les yeux éplorés de leurs pauvres parents.
Enfin désespérés, à bout de patience,
Un beau matin
Ils quittèrent leur résidence,
Pour aller s'établir dans un bosquet voisin,
Sur les derniers rameaux d'un gigantesque charme.
Jardinier de sonner l'alarme :
Les pigeons... les pigeons sont partis !
Et seigneur d'accourir disant : « Petits,' petits,
Revenez bien vite au logis.
Que voulez-vous ? qu'allez-vous faire ?
Avez-vous pas pour ordinaire
Sarrasin, millet, chénevis,
Sans compter mainte friandise ?
Dans la salle à manger vous entrez sans façon,
Aussitôt que la nappe est mise,
Et vous êtes reçus même dans le salon.
La nuit, n'êtes-vous pas dans votre maisonnette
A l'abri de dame Belette ?
Mais las ! Quel sera votre sort,
Si vous nichez sur ce vieux charme ?
Toujours quelque nouvelle alarme ;
Toujours quelque danger de mort !
Et tenez, voyez-vous l'épervier qui tournoie
Là-haut, là-haut, guettant sa proie ?
- Laissez-nous donc en paix avec vos éperviers,
Dirent les deux pigeons. En somme,
Pour nous le plus cruel de tous les carnassiers,
C'est vous ! ce sont vos cuisiniers !
Ce n'est pas l'épervier, c'est l'homme ! »

Livre III, Fable 12




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