En certains lieux les pigeons sont courriers.
Deux de ces courriers là faisant contraire route,
Se rencontrent dans l’air. Holà, compère, écoute,
S’écria l’un des deux. Vien-t’en sous ces palmiers ;
Jasons un peu ; quelle nouvelle ?
Ta maîtresse persiste-t-elle
À nous aimer ? Par nous, j’entends Damon ;
(c’était le maître du pigeon.)
Si nous l’aimons ! Vraiment je lui porte une lettre,
Répondit l’autre ; et je puis te promettre
Que c’est de bon amour, et du meilleur qui soit.
Sur quoi le juges-tu, toi qui ne sais pas lire ?
J’en suis sûr par plus d’un endroit,
Repartit-il. En la voyant écrire,
J’observais avec soin Iris.
Ses yeux changeaient à chaque ligne ;
Tantôt ardents ; quelquefois adoucis :
Je devinais à plus d’un signe
Sa pensée et ses mots ; j’en sais tout le précis.
Quelquefois c’est reproche ; aussitôt c’est excuse ;
Projet de n’aimer plus ; serment d’aimer toujours ;
Crainte que Damon ne l’abuse,
Et puis crédule espoir de fixer ses amours.
Tu vois bien que sans savoir lire,
De la lettre d’Iris je te rends la teneur.
J’oubliais qu’elle est longue ; et s’il faut tout te dire,
Elle n’y rêvait point, et tout partait du cœur.
Que je plains donc Iris, lui répond son compère ?
Damon est à ce compte un ingrat achevé.
Iris va par cet ordinaire
Recevoir un billet, mais court ; et pour le faire
Le pauvre homme a long-tems rêvé.
Vive des passions l’éloquence soudaine :
Ne cherchons point ailleurs l’air vif, original ;
L’esprit les imite avec peine ;
Encor le plus souvent les imite-t-il mal.
Quant au pigeon si fort en conjecture,
Où prenait-il cet art ? Où ? Dans son colombier.
Les pigeons sont amans d’état et de nature ;
Chacun doit savoir son métier.

Livre III, fable 4






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