Deux Pigeons échappés au fusil destructeur,
Du braconnier craignant d'être la proie,
Se rappelaient ces jours de joie
Auxquels avait, pour eux, succédé le malheur.
Nous voltigions, dit l'un, dans la campagne ;
Nul ne tirait sur nous impunément ;
Suivi de sa tendre compagne,
Chacun de nous vivait et paisible et content.
On a calomnié notre amoureuse espèce ;
On a peint le Pigeon comme dévastateur :
Et, depuis le récit de certain rapporteur,
On nous poursuit, nos cœurs sont navrés de tristesse,
Et par décret on nous tient en prison.
Ce décret est-il juste ? non.
Eh ! comment a-t-on pu nous accuser de nuire ?
On sait que dans les champs nous nous réunissions
Pour nous occuper à détruire
La mauvaise herbe étouffant les moissons.
Homme vain ! homme injuste ! à quoi te sert l'étude,
Si sans cesse on te voit le jouet de l'erreur,
Et si toujours l'ingratitude
Règne en despote dans ton cœur ?
--Espérons tout du temps, il mène à la sagesse,
Répond l'autre. Lui seul fait briller la raison.
A l'ignorant qui parle avec tant d'assurance,
Il fait un peu baisser le ton,
Et le réduit à garder le silence.
Déjà plus d'un cultivateur
A bien prouvé notre innocence,
Et nous touchons peut-être au moment enchanteur
De la plus heureuse existence,
La vérité surnage enfin :
Rien ne résiste à sa mâle éloquence.
Si Vénus à son char divin
Nous enchaîne, elle doit nous montrer sa puissance.
Tirons de cette fable une moralité.

Un décret n'est qu'un ordre alors que l'équité
N'a point prévu tout le mal qu'il peut faire ;
Pour qu'il ait d'une loi le sacré caractère,
Par la raison il faut qu'il soit dicté.

Livre I, fable 22




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