Il est une machine et simple et curieuse,
Fléau des frétillants Goujons,
Mais rarement nuisible aux gros poissons :
J'en vais tracer la forme ingénieuse.
On adapte à l'extrémité
D'une perche longue et menue,
Deux brasses d'une soie en cordonnet tissue :
Un hameçon au bout exprès est arrêté ;
On pratique un tuyau de plume,
Retenu par la soie, et qu'un liège léger
Entoure de coutume,
Pour qu'il puisse mieux surnager.
Un peu de plomb à la ligne s'attache,
(De cet instrument c'est le nom)
Il est toujours placé bien près de l'hameçon
Que l'appât enveloppe et cache,
Et sans lequel l'appât ne peut aller à fond.
Aussitôt que la ligne est sur l'onde lancée,
Le tuyau coule et surnage aisément ;
Vous l'observez : vient-il à baisser un instant ?
Il faut vite qu'en l'air la ligne soit chassée,
Le poisson enlevé du fluide élément
Regrette en vain sa liberté passée.
C'était ainsi qu'à pêcher s'amusait
Certain quidam, debout au bord d'une rivière,
Dont sans doute le nom ne fait rien à l'affaire.
Abrégeons et venons au fait.
Sa ligne était errante et la plaine liquide
Enfermait dans son sein le piège séducteur ;
Déjà tous les Goujons lorgnaient l'appât perfide :
Quand une Carpe, par bonheur,
Carpe, par le grand âge instruite,
Vint à passer; elle avait du mérite.
Pour savoir à quoi s'en tenir
On la consulte. « Ah ! mes enfants ,dit-elle,
Reconnaissant l'appât, vous me faites frémir !...
C'est une machine mortelle ;
Fuyez ! fuyez ! on cherche à vous saisir.
Croyez-moi , j'en ai vu qui se jetaient sur elle
Et je n'ai pu jamais en voir un revenir. »
--- Erreur, dit un Goujon ; quelle étrange faiblesse !
Va, va, pour tes conseils je n'ai que du mépris ; --
Il dit, s'élance, mord, et le Goujon est pris.
Il faut le plus souvent en croire la vieillesse.