Toute tête abonde en son sens.
Nous sommes ainsi faits ; n’en exceptons personne.
La façon dont je vois et celle dont je sens,
La manière dont je raisonne,
Je vous soutiens que c’est la bonne ;
Tandis que selon vous je vois à contre sens.
Ce qui me paraît vrai, vous semble erreur extrême ;
En rien nous ne sommes d’accord :
Mais comment, s’il vous plaît, prouvez-vous que j’ai tort ?
En disant : j’ai raison. Je vous le dis de même :
La confiance est notre fort.
Qui de nous est l’opiniâtre ?
Je ne me rends point ; cédez-vous ?
Je le répète encor ; nous nous ressemblons tous :
De son opinion chacun est idolâtre.
Jupin un jour, en pointe de Nectar,
Voulut faire un présent à la nature humaine.
Momus en est porteur. Sur un rapide char
Des airs il traverse la plaine.
Venez, s’écria-t-il, venez heureux humains ;
Jupin ouvre pour vous ses bienfaisantes mains ;
Il vous fit la vue un peu basse ;
Mais voici bien de quoi réparer ce défaut.
Il ouvre sa male aussitôt ;
Et lunettes alors de tomber sur la place :
Humains de ramasser. Il s’en trouva pour tous ;
Chacun en rapporta sa paire,
Rendant grâce à Jupin d’avoir trouvé pour nous
Ce supplément à notre luminaire.
Les lunettes pourtant faisaient voir les objets
Sous de menteuses apparences.
Celui-là les voit bleus ; celui-ci violets ;
Qui blancs, qui noirs ; enfin de toutes les nuances.
Mais, malgré la diversité,
Chacun charmé de sa lunette,
Compta d’avoir attrapé la plus nette ;
Et goûta dans la fausseté
Le plaisir de la vérité.

Livre III, fable 3






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