La Chenille et la Fourmi Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

N’écrire que pour amuser,
Autant vaudrait ne pas écrire.
Du langage c’est abuser,
Que de parler, pour ne rien dire.
Auteurs, j’en ai honte pour vous,
Vous gâtez le métier par ce vain batelage.
Je crois voir des farceurs qu’applaudissent des fous,
Tandis qu’ils sont sifflés du sage.
Riches de mots, pauvres de sens,
Tous vos discours ne sont que tours de passe-passe,
Bons pour charmer la populace ;
La populace ici comprend bien des puissants.
Je n’irai pas leur dire en face ;
Je ne le dis, discret auteur,
Qu’à l’oreille de mon lecteur.
Mais ne croyez-vous pas qu’on vous en doit de reste,
Lorsque vous contentant de vaines fictions,
Vous n’allez pas orner d’un agrément funeste
Les vices et les passions ?
Vraiment, je vous trouve admirables :
Vous n’êtes pas les plus coupables ;
Donc vous êtes des gens de bien ?
La conséquence ne vaut rien.
Je punirais l’auteur qui ne cherche qu’à nuire,
Comme un perturbateur de la société.
Je chasserais aussi pour l’inutilité
Celui qui ne sait pas instruire.
Tout citoyen doit servir son pays
Le soldat de son sang ; le prêtre de son zèle ;
Le juge maintient l’ordre, il sauve les petits
De la griffe des grands ; et le marchand fidèle
Garde à tous nos besoins des secours assortis.
Or, qu’exige la république
De mes confrères les rimeurs ?
Que de tous leurs talents, chacun d’entre eux s’applique
À cultiver l’esprit, à corriger les mœurs.
Malheur aux écrivains frivoles,
Atteints et convaincus de négliger ce bien !
Quel fruit attendent-ils de leurs vaines paroles ?
Rien n’est-il pas le prix de rien ?
Je voudrais lever ce scandale,
Et je tâche du moins à faire mon métier.
J’orne, comme je puis, quelques traits de morale.
Qu’un autre fasse mieux ; je serai le premier
À l’en aller remercier.
Demoiselle fourmi trottant par la campagne,
Rencontre une chenille à peine remuant.
L’aide du ciel vous accompagne,
Dit le ver en la saluant :
Si tant est cependant que chenille salue.
Mais la fourmi ne s’en remue,
Et d’un air dédaigneux recevant l’amitié,
Pauvre animal que tu me fais pitié !
Dit-elle : entre nous la nature
En te faisant a bien manqué.
Qui voudrait te compter pour une créature ?
Tu n’en es qu’un essai croqué.
Dieu soit loué, puisqu’à me faire
Nature a voulu mettre un peu plus de façon.
Je vais, je viens d’une jambe légère ;
Je… mais c’est trop jaser pour une ménagère ;
Adieu, l’ami rampant : je cours à la moisson.
L’humble chenille est muette à l’outrage ;
S’enferme dans sa coque, y vaque à son ouvrage ;
Puis au moment qu’elle en devait sortir,
L’orgueilleuse fourmi par cet endroit repasse ;
Le ver sort papillon. Arrête un peu de grâce,
Dit-il à la fourmi ; je voudrais t’avertir
Qu’il ne faut mépriser personne :
Le méprisé prend quelquefois l’essor :
Tel qui rampait s’élève et nous étonne.
Me voilà dans les airs, et tu rampes encor.

Livre III, fable 8






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