Filles d’une même montagne,
Deux sources commençaient leur cours.
L’une, à flots résonnants, tombait dans la campagne ;
L’autre, plus lentement roulait des flots plus sourds.
Ma sœur, dit la source bruyante,
De ce train-là tu n’iras pas bien loin.
Tu vas tarir dans peu ; tandis que triomphante,
Entre les fleuves moi je vais tenir mon coin.
À trois cens pas d’ici je gage
Que déjà je porte bateau ;
Puis étendant mon lit, reculant mon rivage,
Je veux qu’au loin, sur mon passage,
Il ne soit bruit que de mon eau.
Je vais par le commerce appeler la fortune
Dans tous les lieux de mon département ;
Et puis, majestueusement
J’irai porter mon tribut à Neptune.
Adieu, pour remplir mon destin,
Il faut un peu de diligence.
Pour toi, tu ne seras qu’un ruisseau clandestin ;
Adieu, ma sœur ; prends patience.
L’autre ne sait répondre à ce discours hautain,
Que d’aller doucement son train.
Elle s’ouvre un chemin, descend dans les prairies,
Appelle dans son lit mille petits ruisseaux
Qui serpentaient sur les rives fleuries ;
Et poursuivant son cours, elle en grossit ses eaux.
La voilà parvenue aux honneurs des rivières ;
Elle a des mariniers, se voit déjà des ponts ;
Nourrit un peuple de poissons ;
Abreuve de ses eaux les campagnes entières :
Puis des rivières même enflant encor son cours,
La voilà fleuve enfin à force de secours.
Tandis que la source orgueilleuse,
Qui sans aide croyait suffire à sa grandeur,
Demeurant un ruisseau, se trouva trop heureuse
De se jeter enfin dans les bras de sa sœur.
En vain le sot orgueil s’applaudit et s’admire ;
N’attendez rien de grand de qui croit se suffire.

Livre III, fable 7






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