Les lilas en boutons allaient bientôt s'ouvrir.
Dans les buissons le merle avait sifflé. Zéphyr
S'agite, ouvre les yeux, sous le berceau de rose,
Où, durant tout l'hiver, mollement il repose,
Et mande auprès de lui ses deux enfants :
- Mes amis, voici le Printemps.
Mais je me sens bien vieux. Dam ! voilà six mille ans
Que je fais seul tout le service.
Que vous me remplaciez à présent, c'est justice.
J'ai là vos deux brevets signés par Jupiter :
Brevets de capitaine aux phalanges de l'air.
Vous pouvez entrer en campagne.
Moi, je garderai la montagne.
Revenez dans huit jours. - Voilà nos petits Dieux
Tout joyeux.
Ils s'ajustent de longues ailes
Transparentes comme dentelles,
Blanches sous un reflet vermeil,
Comme l'on voit aux demoiselles,
Et les voilà partis dans un rais de soleil !
Huit jours passés, Zéphyr, posté sur la colline,
En train de souffler, j'imagine,
Les voit revenir un beau soir
Au manoir
Différents d'aspect et de mine.
L'un commence : aux abords de la ville voisine,
J'ai rencontré le premier jour
Un jardin merveilleux, véritable séjour
Des zéphyrs : un gazon peint de mille fleurettes.
Et de gros bouquets d'arbres verts,
Des sièges cà et là rangés sous les couverts,
Et des garçons, et des fillettes
Ravissantes ! Charmé de cet aimable coin
Je ne suis pas allé plus loin.
Je déjeunais de la rosée
Aux pointes d'herbe tamisée
Où l'aube en souriant mettait son arc-en-ciel.
Sur la pelouse diaprée
À la Vesprée
Parmi les blonds essaims qui pillottaient le miel
Je soupais du parfum des roses
En secouant un peu leurs, corolles mi-closes.
Et les jolis petits enfants
Dont mon souffle agitait les longs cheveux flottants,
Et les opulentes nourrices,
Avec leurs deux bouts de ruban
Au vent,
En me sentant passer, disaient : Quelles délices !
Comme ce petit air sent bon !
Enfin je suis charmé de mes débuts. - Moi non !
Reprit l'autre, piteux et de ton et "de geste.
Partout sur mon passage on disait : Quelle peste !
- Mais il pue en effet ! D'où viens-tu, malheureux ?-
S'écria tout-à-coup le père,
Avec un éclat de colère.
- Un zéphyre qui pue ! Est-il possible ! si !
Que dirait Jupiter, s'il passait par ici ?
Que t'est-il arrivé ? Mais parle donc. - Voici :
D'abord, en quittant la montagne,
J'ai voulu m'amuser aux dépens des ruisseaux
Oui courent bêtement à travers la campagne,
Afin de retarder le progrès de leurs eaux...
Ils coulaient dans un sens, moi, je soufflais dans l'autre
Eux d'écumer et de gémir.
Et moi je me disais : quel pouvair est le nôtre !
Et naturellement ça me faisait plaisir.
Mais pendant ce temps-là, la nuit était venue,
Et j'avançais, non sans émoi,
Dans une contrée inconnue
Suivant des feux follets qui dansaient devant moi.
Moi, je dansais aussi. Mais bientôt la prairie
S'est couverte d'ajoncs, de toufses de roseaux
Et tout-à-coup, croyant raser l'herbe fleurie,
J'ai senti sous mon pied la surface des eaux.
L'aube du jour, trouant enfin un gros nuage,
M'a laissé voir un marécage
Immense, nu, désert, sans digue, sans rivage !
Sur les grands nymphéas la rainette chantait.
Un crapaud au soleil étalait ses pustules.
Et mon souffle, en passant sur les bords, agitait
Tout un peuple d'osiers et de hautes férules.
Puis les rayons du jour sur ces eaux, d'un ton noir,
Ont fait luire, en tombant, comme un vaste miroir :
Miroir d'acier poli encadré dans l'ébène !
Et je suis resté là sept jours, une semaine !
Sans souffle. Je n'osais m échapper. Mon haleine
Que l'étang saturait de ses exhalaisons
Se chargeait de subtils poisons.
Et je sentais une ivresse malsaine
Qui m'interdisait tout essor
Et m'enfiévrait. Bref, j'y serais encor,
Si tout-à-coup pensant à vous, mon père,
Je ne me fusse dit : mais je suis attendu !
Un jour de plus, j'étais perdu -
Le vieux Zéphyr n'était plus en colère :
- Va vite à la fontaine, écarte le cresson.
Plonge-toi dans la belle eau claire.
Et garde-toi, mon fils, d'oublier la leçon.
Chacun de nous se pénètre, s'imprègne
De l'air qu'il fait, du goût qui règne
Dans le monde, dans le milieu
Où nous vivons, à la grâce de Dieu.
Quel Dieu ? le plus souvent, ce Dieu, c'est l'habitude,
C'est l'instinct, le penchant, toujours impérieux,
La passion enfin, la pire servitude.