Au sommet de la falaise
De Saint-Blaise
Le Goéland venait de se poser. Pensif,
Il fouillait de là-haut la plage, noir récif,
Où la mer, en montant, se ruait avec joie,
Prête à lui jeter quelque proie,
Sole, sardine ou maquereau.
Un Corbeau,
Qui souvent, paraît-il, du haut de quelque branche,
Avait du Goéland admiré l'aile blanche,
Auprès de lui vint se percher
Sur un rocher.
- Que c'est beau d'être blanc, pensait-il en lui-même
Et de pêcher en pleine mer !
On a du poisson tout l'hiver;
Et surtout au temps du carême !
Cependant qu'il nous faut retourner tout un champ
Pour y déterrer un ver blanc ! »
Le Goéland, qui comprend son envie,
Se tourne, et lui va dire avecque bonhomie :
- « Ami Corbeau,
Sûrement, vous n'êtes pas beau ;
Mais vous avez à votre usage
Bonnes ailes, bon bec, bon estomac. Je gage
Que vous vous ennuyez de rester sur la plage,
A tournoyer sans cesse en rond
Au-dessus de ce vieux donjon,
Comme si vous étiez en cage.
Que ne faites-vous comme moi ?
En pleine mer, en plein orage,
On est tranquille, et plus heureux qu'un roi,
Le couvert toujours mis, sans souci du ménage !
Aimez-vous les merlans, les rougets, les anchois ?
On n'a que l'embarras du choix.
Tandis qu'ici, quelle vergogne !
Vous vivez quinze jours d'un reste de charogne.
- « J'adore le poisson, répliqua le Corbeau,
Et souvent, quand la mer est basse,
Vous me verriez pousser l'audace
Jusqu'à voler au bord de l'eau
Pour pincer quelque bigourneau. »
- « Fi de vos affreux coquillages !
Dit l'oiseau de Neptune, avec un grand mépris,
Tant que vous n'aurez pas surpris
Un banc de maqueraux, fréquents dans ces parages,
Pour moi, vous ne saurez jamais
Ce que c'est que le poisson frais ! »
- « Sans doute, fit l'autre, sans doute !
Le maquereau ! Je donnerais beaucoup,
Rien que pour en savair le goût ;
Mais je crains de rester en route.
Il ne me fait pas peur ! Mais, pour en approcher,
Pour le piquer dans l'eau sans se mouiller les plumes
Au milieu de ces flots d'écume,
Dame ! Il faudrait savair pêcher. »
- « Erreur ! Il n'est pas nécessaire.
Un corbeau, c'est intelligent.
Vous allez me regarder faire,
Et puis vous en ferez autant.
Et tenez, voyez-vous, dans le pli de la vague,
Ce fourmillement lumineux ?
- Je ne vois rien. - Eh bien, dites que j'extravague
Si nous ne tombons droit sur eux. »
Et, déployant soudain son envergure entière,
Le Goéland, joyeux, poussa son cri de guerre.
Maître Corbeau ne fit qu'un bond
Pour se lancer dans la carrière,
Et les autres, sur le donjon,
Cessèrent de voler en rond.
D'abord à l'horizon, sur un ciel tout en flammes,
Embrasé des reflets du soir,
Ils purent voir
Un point blanc, suivi d'un point noir.
Et puis tout disparut. Soudain, entre les lames,
Se montra de nouveau l'aile du Goéland
Volant
Au-dessus de la plaine humide.
Dans son bec il tenait, frétillant et vermeil,
Un maquereau, qui luisait au soleil.
On eût dit le joyau de quelque Néréide
Arraché du gouffre liquide !
Quelques instants après, le roi des Goélands
Soupait de son poisson, sur la vieille estacade
Qui ferme l'accès de la rade;
Et les poissons en même temps
Mangeaient, au fond des mers, son pauvre camarade
Pendant que de nouveau,
Là-haut,
Au sommet de la falaise
De Saint-Blaise,
Les corneilles volaient en rond
Sur le donjon,
Que dorait un dernier rayon.
Plus haut que les glaciers, plus haut que l'avalanche,
Par delà les déserts, les bois, les océans,
Maître, dès mes plus jeunes ans,
Je suis de loi le vol de ta grande aile blanche.
Dans la sérénité de l'insondable éther,
Elle s'enfonce radieuse,
Ou, plongeant tout à coup, elle rase la mer,
Mouillant sa plume au gouffre amer
Et remonte, victorieuse !
Que c'est beau.de voler ! Le poète est-oiseau,
Misa ales, oiseau de sublime envergure !
Pour moi, plus avisé que le pauvre corbeau,
Dont je viens de conter la tragique aventure,
Je reste au bord du nid, perché sur un créneau,
Tranquille, et, sans poursuivre un succès illusoire,
J'admire de mon trou l'immensité de l'eau
Et l'immensité de ta gloire !
Titre complet : Le Réverbère et le Cierge ou le Progrès des Lumières