Le Corbeau et le Renard Gotthold Ephraim Lessing (1729 - 1781)

De viande empoisonnée un assez gros morceau
Venait d'être enlevé par un gourmand corbeau ;
(À des chats ravisseurs elle était destinée
Par certaine personne à leur perte acharnée.)
L'oiseau joyeux, voulant la manger à loisir,
Vole au haut d'un vieux chêne, et déjà de plaisir
Par avance il se pâme. Un renard, fin compère
L'aperçoit et se dit : «j'en aurai part, j'espère.»
Il se glisse, il approche. «Oiseau du roi des Dieux,
«Dit-il, reçois mes vœux ! — Moi ! qui suis-je à tes yeux ?
— « A mes yeux ! n'est tu pas l'aigle robuste, agile,
Qui, chaque jour, pour moi créature fragile,
Quittant de Jupiter le trône éblouissant,
M'apporte, de sa part, quelque mets bienfaisant ?
Pourquoi dissimuler ? Tes triomphantes serres
Portent, je vois, le don qu'obtiennent mes prières
Et que par toi le Dieu m'envoie exactement. »

Le corbeau s'applaudit, intérieurement
D'être pris pour un aigle ; il se dit à lui-même :
« Laissons seigneur renard dans son erreur extrême. »
Sottement généreux, il veut trancher du lier,
Laisse tomber sa viande et s'élance dans l'air.
Le renard souriant l'attrape ; dans sa joie
il se moque de l'autre et dévore la proie.
Mais, son plaisir bientôt dégénère en douleur ;
Le venin puissamment agit, atteint son cœur.

Puissiez-vous, comme lui, vous flatteurs méprisables,
N obtenir que poison de vos propos coupables.

Livre II, fable 15




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