Les Corbeaux en désaccord Antoine-Paulin Pihan (1810 - 1879)

Dans un certain pays se trouvait une vallée fort étendue, contenant des rivières, des arbres fruitiers et des oiseaux qui chantaient les louanges du Créateur de la nuit et du jour. La plupart de ces oiseaux étaient des corbeaux dont la vie s'écoulait dans une paix profonde. Ils avaient pour guide un corbeau plein de bienveillance et de tendresse à leur égard, et, sous sa protection, ils jouissaient d'un doux repos. Leur affection mutuelle et la bonne administration de leur chef empêchaient les gros oiseaux de rien tenter contre eux. Leur chef étant mort, ils en conçurent un violent chagrin, et la principale cause de leur affliction était de ne pouvair, parmi eux, en trouver un semblable. Bientôt ils se réunirent à l'effet de délibérer sur l'élection de son successeur, et quelques-uns d'entre eux, choisissant un gros corbeau, lui dirent :

« Il est bon que tu sois notre roi ; » mais d'autres ne voulurent pas le reconnaître. De là des mécontentements et des disputes suivies d'une grande sédition. Les principaux tinrent alors conseil et adoptèrent à l'unanimité la résolution suivante :

« Nous ferons attention au premier oiseau qui prendra son vol et nous le reconnaîtrons pour roi. »

La chose une fois bien arrêtée, voici qu'un épervier se mit à planer au-dessus d'eux, et ils s'écrièrent :

« Ce qui est dit est dit ; c'est une affaire réglée, et aucun de nous ne doit montrer d'opposition aux autres relativement au choix que nous avons fait ; car nous avons décidé nous-mêmes que le premier oiseau qui viendrait à voler serait notre roi. »

Puis ils se soumirent à l'épervier.

Celui-ci, plein de joie, leur dit :

« Vous me trouverez, s'il plaît au Dieu très-haut, tel que vous me désirez. »

Malgré cette promesse, dès qu'il fut devenu leur maître, il s'élançait chaque jour sur plusieurs d'entre eux et leur dévorait la cervelle et les yeux, en abandonnant le reste aux chiens. Les corbeaux, voyant la conduite de cet épervier, reconnurent qu'ils allaient périr, et se dirent les uns aux autres :

« Nous savions bien qu'il n'y aurait rien de bon pour nous après la disparition de nos chefs, et nous voilà plongés dans le malheur ; il faut donc prendre garde à nous. »

Et, le lendemain matin, ils s'envolèrent de tous côtés.





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