Les Renards trompés par les Loups Antoine-Paulin Pihan (1810 - 1879)

Une bande de renards s'en allait un jour chercher de quoi manger. Tout en faisant leur ronde, ils trouvèrent un chameau mort.

— « Voilà, s'écrièrent-ils, de quoi vivre pour longtemps ; mais il est à craindre que quelqu'un de nous ne partage pas également avec les autres, que le plus fort ne prenne au delà de ce qui doit lui revenir, et que le plus faible ne meure de faim. Il nous faut donc chercher un arbitre relativement à notre trouvaille, pour qu'il la répartisse entre le fort et le faible. » Or, pendant qu'ils s'entretenaient de cette affaire, un loup s'avança de leur côté, et l'un d'eux dit aux autres :

« Si vous voulez, nous choisirons ce loup pour arbitre ; il est puissant et vigoureux comme vous le désirez ; jadis son père fut notre roi, et il y a lieu d'espérer qu'il sera équitable envers nous. » (La proposition fut acceptée), puis ils allèrent trouver le loup et l'informèrent de leur délibération, le priant d'être leur régisseur et leur juge au sujet de la nourriture qu'ils avaient trouvée, et de donner journellement à chacun une portion suffisante. Le loup se rendit à leur demande et leur fit le premier jour une répartition convenable ; mais, le lendemain, il se dit en lui-même :

« En vérité, c*est une faiblesse de ma part que de leur distribuer ce chameau ; car ils ne peuvent me causer ni dommage ni profit, ils ne sont pas forts, et jamais ils ne cesseront d'être mes serviteurs et ceux de ma famille. Qu'ai-je donc à craindre ? Ce chameau, c'est la Providence qui me l'a envoyé, je ne leur en dois pas d'actions de grâces ; pourquoi les redouter et négliger mes intérêts ? Désormais, je ne leur donnerai plus rien. » Les renards, pressés par la faim, vinrent lui dire: «O loup ! donne-nous aujourd'hui de la nourriture. »

— « Non certes, répondit celui-ci ; je n'ai ni distribution ni largesse à vous faire ; vous n'aurez rien, retirez-vous ; et si j'aperçois quelqu'un de vous rôder autour de moi, je le tuerai. » Un des renards dit aux autres :

« Nous voilà plongés dans le malheur à cause de ce traître qui n'a pour Dieu ni respect ni crainte. Nous ne sommes pas assez forts contre lui : quelle ruse donc employer ? »

— « Ce n'est que la faim, reprit un autre renard, qui a pu le porter à cette injustice ; laissez-le pour aujourd'hui manger à satiété, qu'il se remplisse le ventre et les yeux ; demain nous reviendrons le trouver. »

Le lendemain, ils vinrent lui dire :

« Ô loup ! notre unique intention était de te mettre à notre tête, afin que tu donnasses à chacun de nous son lot, et que personne ne fit du tort aux autres ; voilà ce que nous attendions de toi, et cependant nous nous sommes fait du tort et nous avons gâté notre affaire. Hier nous sommes venus, et, quoique affamés, nous avons supporté patiemment ce que tu nous as fait ; mais aujourd'hui une grande faim nous assiège encore : donne-nous donc de ce qui te reste de notre nourriture, car il nous suffira de peu, et tout ce que tu feras sera bien fait. »

Le loup refusa, et, de plus, les accabla d'injures. Un des renards dit alors aux autres :

« Il n'y a pas moyen de réussir auprès de ce fripon ; c'est notre perte qu'il désire. Allons trouver le lion et implorons son secours contre lui ; nous lui proposerons le chameau pour qu'il donne la mort à ce loup perfide. » Ils se rendirent donc auprès du lion et l'informèrent de la conduite du loup à leur égard, puis ils ajoutèrent :

« Grâce à Dieu, tu es fort et puissant, eh bien ! va trouver ce loup, tue-le et empare-toi de ce dont il s'est rendu maître ; nous t'en serons reconnaissants. »

Le lion s'en alla chercher le loup et le livra aux renards, qui le mirent en pièces.





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