Deux renards affamés, rôdant pendant la nuit,
Dans une basse-cour s'étaient glissés sans bruit.
De poules et de coqs Dieu sait l'affreux carnage !
La panse pleine, et l'estomac lesté,
Le plus vieux dit : « Mon fils, croyez-en mon grand âge,
« Défions-nous de la prospérité ;
Dans la vie il faut être sage ;
C'est pour l'heure présente assez bien débuté,
Remettons à demain le reste de l'ouvrage. »
Le jeune répondît : « Compter sur l'avenir ?
« De l'aubaine présente, eh ! laissez-moi jouir,
Sans attendre que demain vienne.
Mieux vaut tenir, compère, que courir,
C'est ma devise, à moi, chacun la sienne. »
Chacun fait donc comme il l'entend.
Le vieux renard détale, et regagne au plus vite
Son gîte ;
« Bon voyage, dit le gourmand. »
Et tandis que l'un court, l'autre, tranquille, achève
Le festin commencé, sans perdre un coup de dent.
Qu'arriva-t-il ? notre glouton fait tant,
Qu'il crève,
Et, d'avoir trop soupé, tombe mort en sortant.
Cependant le fermier, dès qu'a lui la lumière,
Se lève, fait sa ronde, et dirige ses pas
Au poulailler, ne songeant guère
Que Renards à ses frais ont fait un bon repas.
A l'aspect des exploits de la maudite engeance,
« À moi, s'écria-t-il, Jupiter protecteur !
Des croqueurs de poulets je tirerai vengeance.
Ce soir, en sentinelle, attendons le voleur :
Il reviendra chercher un triomphe facile,
Le traître ! mais néant ; il sera bien habile,
S'il se dérobe à ma fureur. »
L'ombre succède au jour ; et Renard, plein de joie,
Revient flairer sans bruit à l'entour de sa proie.
« Pour ne m'avoir point cru, mon camarade est mort,
Disait-il, à part soi ; s'il eût eu ma prudence,
Ensemble, cette nuit, nous souperions encor :
Vive, ma foi, l'expérience ! »
Ainsi parlait le vieux larron.
Mais en défaut sa sagesse fut prise :
L'homme aux poulets croqués l'attrape, et sans façon
L'envoie à jeun chez Pluton
Moraliser à sa guise
Près du défunt compagnon.
Le méchant jouit peu du fruit de sa malice :
Rien ne lui sert d'être renard ;
Jeune ou vieux, sot ou fin, le ciel en fait justice,
Un peu plus tôt, un peu plus tard.