Le Procès des deux renards Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Que je hais cet art de pédant,
Cette logique captieuse,
Qui d’une chose claire en fait une douteuse,
D’un principe erroné tire subtilement
Une conséquence trompeuse,
Et raisonne en déraisonnant !
Les Grecs ont inventé cette belle manière :
Ils ont fait plus de mal qu’ils ne croyoient en faire.

Que Dieu leur donne paix ! Il s’agit d’un renard,
Grand argumentateur, célèbre babillard,
Et qui montrait la rhétorique.
Il tenait école publique,
Avait des écoliers qui payaient en poulets.
Un d’eux, qu’on destinait à plaider au palais,
Devait payer son maître à la première cause
Qu’il gagnerait : ainsi la chose
Avait été réglée et d’une et d’autre part.
Son cours étant fini, mon écolier renard
Intente un procès à son maître,
Disant qu’il ne doit rien. Devant le léopard
Tous les deux s’en vont comparaître.
Monseigneur, disoit l’écolier,
Si je gagne, c’est clair, je ne dois rien payer ;
Et cela par votre sentence,
Puisque par la sentence
J’aurai droit de ne pas payer.
Si je perds, nulle est sa créance ;
Car il convient que l’échéance
N’en devoit arriver qu’après
Le gain de mon premier procès :
Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense :
Mon dilemme est certain. Nenni,
Répondoit aussitôt le maître ;
Si vous perdez, payez, la loi l’ordonne ainsi.
Si vous gagnez, sans plus remettre,
Payez, car vous avez signé
Promesse de payer au premier plaid gagné :
Vous y voilà. Je crois l’argument sans réponse.

Chacun attend alors que le juge prononce ;
Et l’auditoire s’étonnoit
Qu’il n’y jetât pas son bonnet.
Le léopard, rêveur, prit enfin la parole :
Hors de cour, leur dit-il : défense à l’écolier
De continuer son métier ;
Au maître, de tenir école.

Livre IV, fable 15




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