« Je ne pourrai jamais, mon cher Jasmin,
Mordre à leur grec, à leur latin. »
Ainsi parlait d'un ton mutin
Aux vieux serviteur de son père,
En folâtrant tout le long d'un chemin
Qui d'un grand bois était voisin,
Un écolier à la paresse enclin,
Aimant le jeu bien plus que la grammaire.
Jasmin, le saisissant tout-à coup par le bras :
« Baissez-vous, baissez-vous, maître, ne bougez pas,
Suivez mon doigt pour point de mire ;
Regardez bien, regardez bien là-bas. »
« Ciel ! un gros loup !..: » Jasmin aimait à rire,
Était d'un naturel enjoué, goguenard :
« Non, ce n'est pas un Loup, maître, c'est un renard,
Qui, très probablement, n'a pas pris de port d'armes,
Et se tient à l'affût en narguant les gendarmes.
S'il ne se faisait déjà tard... »
« Oh ! restons, Jasmin, je t'en prie,
C'est à peine s'il est six heures et demie. »
Comme, il disait ces mots, on entend dans le bois
Un second braconnier qui donnait de la voix.
« Bon ! dit Jasmin, voilà le camarade
Du drôle que je vois là-bas en embuscade,
C'est une chasse au lièvre, et de compte à demi.
Le quêteur va chasser le lièvre par ici,
Le conduire tout droit auprès de son compère,
Et le compère entera ; son affaires :
J'en crois être certain, tout dot avoir été
Entre ces deux brigands de la sorte arrêté,
Ou... » Jasmin finissait à peine
Qu'un gros lièvre arpentait.la plaine
En courant comme un dératé,.
Car à son nez le vent poussait l'haleine,
L'haleine infecte du quêteur
Le talonnant avec ardeur
L'autre renard s'était blotti derrière
Les éboulements d'une ornière,
Et quand le fièvre poursuivi
Vient à passer auprès de lui,
Renard s'élance ; mais en lièvre fort habile
Et qui connaissait son métier,
Après maints zigzags il enfile,
Haletant, un autre sentier,
Et dans l'espace aussitôt il défile,
Toujours poursuivi par la peur,
Et parle souffle empesté du quêteur
Notre premier renard en faisant la grimace,.
Penaud, l'oreille basse, avait repris sa place.
« Pourquoi donc, dit l'enfant, ce grand paresseux-là,
Au lieu de courir sus, est-il demeuré là ? »
« Maître, c'est sa consigne et de la stratégie
Qui ferait grand honneur à plus d'un général,
Car la chasse n'est pas finie,
Le soldat obéit à son vieux caporal ;
Et maintenant des yeux suivez bien l'animal,
Ses faits et gestes, je vous prie.
L'enfant aperçoit aussitôt
Renard exécuter dans les airs un grand saut,
En retombant flairer la trace
Du vieux routier qui vient de le mettre en défaut,
Soudain revenir à sa place,
S'y reblottir en tapinois,
Toujours plus haut dans l'air se relancer vingt fois
A faire honte au plus leste acrobate,
Et chaque fois qu'il retombait,
Avec attention l'animal observait
Si sur le but avait porté sa patte,
Et derechef il s'exerçait.
L'enfant était joyeux ; il riait, il riait
A se désopiler la rate,
Et véritablement, je crois,
Qu'on les retrouverait encor là tous les trois,
S'ils n'avaient entendu-de nouveau dans le bois
Le quêteur donner de la voix.
« Voilà le lièvre qu'il ramène, »
Dit Jasmin à l'enfant. En effet dans la plaine,
Lièvre, et quêteur reparaissent tous deux,
Et sur le dos du malheureux,
Quand il repasse à dix pas de l'ornière,
Sans se douter qu'il touche à son heure dernière,
Notre sauteur tombe juste à cheval,
Et tient en bride l'animal.
Les scélérats emportent leur victime,
Et dans le bois ils consomment, leur crime.
« Tu parais bien rêveur, Jasmin, » disait l'enfant,
Eh s'en allant radieux, triomphant.
« C'est que je roule dans ma tête,
Mon jeune maître, que la bête
Qui sautait devant nous de si belle façon,
Pourrait bien vous servir d'exemple et de leçon.
Pour parvenir à la possession
De l'objet de sa convoitise, -
Il a bien mouillé sa chemise.
Il n'a fini par mordre à la dissiculté.
Que grâce à sa ténacité ;
Le lièvre sans cela serait encore en route.
La science vaut mieux qu'un bon civet, sans doute.
Avec la même ardeur, un zèle aussi profond,
Étudiez votre Lhomond.
Du sauteur devant vous sans cesse ayez l'image.
A l'œuvre, comme lui, maître, ayez bon courage,
Et bientôt, vous pourrez, soyez-en bien certain,
Mordre au grec et mordre au latin. »