La Chasse aux Papillons Valéry Derbigny (1780 - 1862)

Brillants fils de l'air et des fleurs,
Les Papillons, race légère,
À l'existence passagère,
Séduisent par l'éclat de leurs riches couleurs,
Mais, pour l'oeil qui les suit, leur allure incertaine
A quelque chose de boiteux ;
On ne les voit jamais aller droit devant eux.
Ils vont de çà, de là, tantôt rasent la plaine,
Et, dans leur vol capricieux,
Tantôt voudraient s'élever jusqu'aux cieux ;
On dirait qu'ils changent de place
Au gré d'un esprit inconstant,
Au hasard et sans but, comme on voit dans l'espace
Une feuille qui tombe et s'en va s'agitant
Au gré du vent qui la pourchasse.
C'est le jeu des enfants de leur donner la chasse.

Après des Papillons d'autres courent aussi ;
Mais n'anticipons pas : voyons d'abord ceux-ci ;
Nous reviendrons de l'une à l'autre classe.
Dans ce sujet si plein de gravité,
En apparence si frivole,
Que de tableaux frappants de vérité !
Que de leçons pour l'homme ! —Un Papillon qui vole,
Un enfant qui le suit, qui saute et n'entend pas
La cloche de l'étude ou celle du repas,
Qui laisse là son livre et son maître et l'école,
Qui court de tous côtés, qui va tout de bricole,
Qui perd plume, écritoire et canif et compas,
Et, dans son ardeur insensée,
Ne voit plus qu'un objet, n'aperçoit plus qu'un point :
Son Papillon, seul bien de sa pensée,
Qu'il croit bientôt atteindre, et qu'il n'atteindra point.

Un peu plus loin son camarade
Qui dans le même pré gambade,
Et se hâte et s'essouffle, et s'en va convoitant
Le plus beau Papillon de toute la contrée,
Qui n'a point vu l'ornière et qui l'a rencontrée,
Et se donne une entorse et revient en boitant.

Cet autre, qu'on croirait se mouvoir en cadence,
Tant il s'y prend avec prudence ;
Qui va silencieusement,
Met un pied devant l'autre et retient son haleine,
A qui, pour prix de tant de peine,
Est réservé probablement
L'indicible bonheur d'attraper quelque chose ;
Il suit son Papillon jusqu'à ce qu'il se pose ;
A l'aide d'un circuit, s'apprête à le saisir,
Et, d'un coup d'échiquier, prompt comme son désir,
L'enveloppe en sa gaze et bondit de plaisir ;
Puis tout émerveillé de sa ruse de guerre,
Il regarde ce qu'il a pris,
Et, tout désappointé, demeure tout surpris
De n'avoir attrapé qu'un Papillon vulgaire.
Tout cela c'est la vie et le monde et son pli.
C'est le vase emmiellé d'amertume rempli.
Sur le flot qui l'amène ou le flot qui l'emporte,
C'est l'espoir qui se montre et se perd tour à tour.
Les rangs, les dignités, les faveurs de la cour,
On va, pour les avoir, quêter de porte en porte ;
On suit, de détour en détour,
Le si cher objet de sa brigue ;
On se remue, on se fatigue ;
Mais, dans ce chemin de l'intrigue,
Facile est de glisser, fréquents sont les faux pas.
On tombe, on se relève, on avance, on recule.

Cet autre Papillon, qui voltige et circule,
Qu'on nomme la fortune et que pour ses appas
On suivrait par delà les colonnes d'Hercule,
Quand on croit le saisir, on ne le saisit pas.

De Paris à Pékin, du Gange à la Vistule,
C'est l'image des biens que l'homme en vain postule ;
C'est l'histoire du monde et de son tourbillon.

Qui poursuit les honneurs, poursuit un Papillon.

Livre III, Fable 1




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