Dans la ville du Parthénon,
Un Cordonnier de grand renom,
Arliste distingué dans l'art de la chaussure,
Crut que la gloire de son nom
Devait passer à la race future.
« A tant d'honneur, dit-il, et de célébrité,
Puisque mon talent sut atteindre,
Je sens ce que je dois à la postérité ;
Décidément je me fais peindre.
C'est à moi que mon art devra sa dignité. »
Ainsi, dans sa noble assurance,
Douce erreur de sa vanité,
Il dit, et sur son front découvre par avance
Un rayon d'immortalité.
Mais quel sera le peintre habile
Digne d'un sujet aussi beau ?
« Apelle, tu m'entends, plus il est dissicile,
Plus aussi tu lui dois l'honneur de ton pinceau. "
11 court donc chez Apelle ; il ne met point en doute
L'empressement du peintre honoré de son choix.
Le maître et l'accueille et l'écoute ;
Puis, déjà plein du feu dont s'animent ses doigts :
« Les hommes, tu dis vrai, sont égaux par la gloire.
Viens, ton rang et le mien sont marqués dans l'histoire.
Apollon te permet d'approcher son autel ;
Il me remplit pour loi d'une flamme divine.
Entre où sont mes pinceaux : je te fais immortel. •'
Le portrait achevé, notre homme l'examine.
D'un ton de connaisseur : « L'ensemble est bien, dit-il,
Mais le nœud du soulier légèrement grimace.
Peut-être aussi le pied, tourné plus de profil,
S'il était moins couvert, aurait-il plus de grâce. •>
Apelle, quoiqu'un peu surpris,
Consent d'y retoucher, change, corrige, efface,
Et se conforme à son avis.
Le Cordonnier reprend son air capable.
«Le pied, dit-il, est parfait maintenant,
Mais la jambe... — Ah ! ceci, c'est par trop incroyable,
Dit le peintre en courroux ; peste soit du manant !
Passe encor pour le pied ; borne là ta critique,
Et crois-moi, mon ami, retourne à ta boutique. »
L'histoire ne dit pas comment
Le Cordonnier reçut le compliment.
Ce trait nous vient de loin ; mais, en changeant la scène,
Que de gens parmi nous sont cordonniers d'Athène !