Le Nain d'Athènes Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

A la fin d'un banquet céleste,
Minerve un jour était de belle humeur,
Son teint semblait plus vif et son propos plus leste :
Momus avait caché son gantelet vainqueur,
Son héroïque armure et sa lance funeste ;
Vulcain déraisonnait, on me croira de reste,
Et la grave Pallas riait d'assez bon cœur.
Des Dieux la maligne Officière
Entretenait ce joli ton,
Et tant de fois pencha l'aiguière,
Que tout bientôt fut de saison ;
Car les Dieux ont cela de bon,
Que, grâce au nectar salutaire,
Ils perdent par fois la raison ;
Et c'est, dans leur condition,
Tout ce qu'ils ont de mieux à faire.

Quoi qu'il en soit, de discours en discours,
Aux Athéniens on arrive.
Minerve dit : je les aime toujours,
J'en atteste l'Arbuste à qui l'on doit l'olive :
Ils sont ingénieux, ils chérissent les arts ;
Et l'active industrie embellit leurs remparts :
Mais ils sont orgueilleux et j'abhorre ce vice ;
Dans leur premier chaos il peut les replonger :
Il faut que, pour les corriger,
Je m'avise d'un artifice.

Elle dit, se lève et soudain
De son talon s'élance un Nain,
Malgré sa petite stature,
A peine éclos, notre Bambin
Nargue la Déesse et Jupin,
Par la fierté de son allure.

Il est présomptueux et vain :
C'était mon but, dit la Déesse.
Sans préjudice pour l'espèce,
Il faut en faire un Ecrivain.
On vous le jette dans Athènes,
B en ridicule, bien gourmé,
Au chant défiant les Sirènes,
Et de gloriole affamé :
Quelques succès l'enflent encore ;
N'ayant plus ni pudeur, ni frein,
Il prit querelle, un beau matin,
Avec le chien de Pythagore,
Chien philosophe, plein de sens,
Armé dit-on, jusques aux dents,
Des bons principes de son maître,
Et distinguant les vrais Savants
D'avec les sots qui croyaient l'être.

Après ce burlesque accident,
Le voilà chu de l'Empirée :
Mais bientôt au Port de Pirée,
On vit débarquer un Géant.
Le peuple y court : d'une ardeur curieuse,
On voit aussi trotter mon Nain.
Dans la foule tumultueuse
Il se glisse et s'ouvre un chemin.
Près du Colosse altier, de l'œil il le mesure,
Lui grimpe à la cheville et d'efforts en efforts,
Parvenant au quart de son corps,
S'accroche aux plis de sa ceinture.
Plus que jamais enorgueilli,
Il menace, il outrage, il raille
Tout ce qu'à peine il voit sous lui,
Et déjà mesure sa taille
A la hauteur de son appui.
Plus on est élevé, plus prochaine est la chute :
Le Géant éternue et le Nain culbute,
Honni, sifflé, mais n'en valant pas mieux.
Pallas ainsi triomphe et son vœu s'exécute.
La vanité punie est vile à tous les yeux.

Le peuple réfléchit, son humeur est changée :
Plus modeste, il fut plus heureux ;
Et dans Athènes corrigée,
Hors quelques sots, on vit peu d'orgueilleux.

Livre IV, fable 13




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