Un Âne, de ceci voilà près de mille ans,
Avec un vieux Renard allait de compagnie,
Pour un cas de diplomatie,
Au pays des orangs-outangs.
Nos deux ambassadeurs, honnêtes personnages,
A peine arrivés à la cour
S'empressent de faire leur cour
Et de présenter leurs hommages.
Au souverain.
Le roi trônait, ainsi qu'un empereur romain,
Au milieu des seigneurs, des grands et des altesses
Les princesses,
Que par pudeur nous omettons
De désigner par leurs vrais noms.
Après les compliments d'usage
Et l'exposé succinct du but de leur message,
Le Renard dit : « Je suis, grand prince, fort âge,
Et votre serviteur a beaucoup voyagé.
J'ai vu le Niéper, j'ai visité le Tage ;
J'ai traversé la Seine et le Mississipi ;
Mes pattes ont foulé la Chine et le Chili.
Or, je puis vous avouer, Sire,
En vérité,
Que je n'ai jamais vu de plus puissant empiré
Que l'empire puissant de Votre Majesté;
Que je n'ai jamais vu de femmes aussi belles
Que ces dames, ces demoiselles. »
Un long murmure approbateur
Accueille, à ces mots, l'orateur.
Le Prince satisfait comble son Excellence
Des dons de sa munificence,
Et lui livre sa basse-cour.
L'Ane, les yeux baissés, vint- et dit à son.tour :
« Votre humble serviteur* Sire, n'est qu'un pauvre âne,
Fus de feu Bourriquet et de défunte Jeanne.
Comme je ne saurais farder la vérité,
Je vous dirai, Seigneur avec sincérité,
Que quel que soit l'endroit où je porte ma vue,,
Et je n'ai pas : la berlue,
Partout je n'aperçois céans,
Que de vilains orangs-outangs.
Renard, mon compagnon, mon habile confrère,
En vantant là grandeur, l'éclat de votre, cour,
A voulu vous faire sa cour ;
Il aurait mieux fait de se taire.
Mais, comme tout ambassadeur,
Renard, dé sa nature, est un lâche flatteur.
Sachez de Bourriquet que les courtisans, Sire,
Sont et seront toujours la peste d'un empiré,
Oui, le plus grand fléau
Que Jupiter vous puisse envoyer de là-haut.
Si les dieux Empereur ou Roi m'eussent fait naître,
Si j'avais le malheur de l'être,
D'honneurs et de présents au lieu de les combler,
Je les ferais tous empaler ;» »,
Ainsi parla le fils de Jeanne,
Ce n'était pas mal pour un âne ;
Mais l'assemblée orang-outanne
Sur le malheureux se rua
A belles dents lé déchira,
Et ce fut Bourriquet, hélas ! qu'on empala.
Nous aimons que l'on nous encense,
Que le coup d'encensoir soit ou hou mérité-
Mais quand parfois la vérité
Froisse notre amour-propre et nôtre vanité,
Nous la prenons pour une offensé., '
En cela fort peu différents
De messieurs lés orangs-ontangs.