L'Âne et la Rose Pierre Duputel (1775 - 1851)

D'un ruisseau transparent, ornant le frais rivage,
Une rose mettait tout son plaisir à voir
Ses charmes retracés dans la fidèle image
Que lui réfléchissait ce mobile miroir.
De cette fleur ambitieuse
Un spectacle si doux flattait la vanité :
Car le faible de la beauté
Est d'être un peu présomptueuse.
Nouveau Narcisse, à chaque instant
Elle fixait, d'elle-même amoureuse,
Sur le cristal de l'onde un regard complaisant.
« Que Flore s'est montrée envers moi généreuse ! »
S'écriait-elle, un jour en admirant
Le vif éclat de sa riche parure !
« Que de grâces ! que de fraîcheur !…
Peut-on rien voir, dans la nature,
De comparable à ma couleur ?
L'incarnat séduisant de la naissante aurore,
Ou ce tendre carmin dont l'aimable pudeur
Voit quelquefois son front qui se colore,
Au mien, ne le cèdent-ils pas ?…
Si des jardins j'obtiens l'empire,
Si je fixe le cœur du volage Zéphire,
Je ne le dois qu'à mes appas.
De l'univers entier je mérite l'hommage… »
Un âne qui passait, entendant ce langage,
Lui dit : « Reine des fleurs, pardon,
« Mais tu n'as à mes yeux qu'un bien faible avantage,
Et je préférerais le plus grossier chardon
À tous ces vains attraits dont tu fais étalage. »

Cet âne, selon moi, raisonnait assez bien :
En effet, la beauté n'est qu'un titre futile,
L'agréable ne sert à rien
Quand il n'est pas joint à l'utile.

Fable 3




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