Jadis sire lion et sultan léopard
Longtemps ensemble guerroyèrent ;
Puis à la fin ils s’ennuyèrent
De mettre si souvent leur fortune au hasard.
Trois ou quatre projets, passant par des mains tierces,
Dégrossirent bientôt les matières diverses ;
Et puis, le sultan de sa part
Au prince chevelu députa le renard
Pour négocier et conclure.
En ceci le conseil du sultan moucheté
Crut avoir fait un choix de grande utilité.
Du patelin on connaissait l’allure,
Ses ruses, son obliquité,
Au besoin son iniquité,
Et l'on tenait pour chose sûre
Que le lion et tout son comité
Seraient dupés dans le traité.
A la première conférence,
Où tout se passe en discours complaisants,
L’ambassadeur par ses airs séduisants
Donna la plus belle espérance;
Mais, quand après les compliments
On vint à donner des paroles,
A prendre des engagements,
Maitre renard perdit ses hyperboles,
Ses détours et ses faux serments.
Il n’avait pas affaire à des tètes frivoles.
On le connut pour un menteur,
On éconduisit l'imposteur ;
La guerre avec plus de furie
Par le lion fut poursuivie,
Et le léopard affronteur
Y perdit le sceptre et la vie.
Rois ! choisissez d’honnêtes gens
Pour vous servir en vos affaires ;
Et n’oubliez jamais, qu’a vos agents
Les vertus sont plus nécessaires
Que le savoir, l’esprit et les talents.
Ces derniers cependant valent bien qu’on les prise ;
Ce sont instruments de requise
Et matériaux excellents.
Mais que la vertu les emploie,
Et qu’ils se tiennent dans la voie
Que son instinct sait leur tracer ;
Sans elle ils ne sont bons qu’à tout bouleverser.