L'Esprit fort et le Philosophe, ou tout est bien René Alexandre de Culant (1718 - 1799)

Un esprit fort et soi-disant Athée ;
Car, dans le fond, je crois qu'il n'en est point,
Prenait beaucoup et de peine et de soin,
Pour propager sa doctrine empestée.
Ayant rencontré Phélénon,
Qui d'homme savant et sage,
A bon droit avait le renom,
Il aborda le personnage,
Et lui demandant fièrement,
Frère, êtes-vous philosophe ?
L'autre répondit humblement,
Je ne m'en pique pas, je n'en ai pas l'étoffe,
Et je me borne simplement,
Voyant que pas à pas, la mort de moi s'approche,
A vivre sans procès et surtout sans reproche,
Sans crainte j'attends le moment,
Où les Dieux qui m'ont donné l'être,
Voudront bien me faire connaître,
A quoi finalement ils m'avaient destiné.
Vous croyez, dit l'Athée, être un prédestiné ;
Mais ne voyez-vous pas que c'est une chimère,
Qui flatte votre vanité ?
L'ordre physique annonce une divinité ;
Et le désordre affreux qui règne sur la terre,
Ne permet pas d'admettre un être intelligent,
Bon, supérieur à tout, toujours plein de justice,
Puisqu'en ce bas lieu le caprice,
Paraît être l'unique agent,
Qui dirige l'homme et la brute ;
Contre un fier ennemi, le faible en vain dispute,
Le loup naquit pour manger les agneaux,
Et son appétit est la règle.
L'Épervier, le Serpent et l'Aigle,
En détruisant tant d'animaux,
Usent d'un pouvoir légitimé.
Quel homme pourrait faire un crime
Aux Lions, aux Renards, aux Ours,
Aux Crocodiles, aux Vautours,
Quand pressés d'une faim terrible,
Ils osent s'attaquer à lui.
Ils suivent un penchant toujours irrésistible.
Ce penchant porte l'homme à dépouiller autrui.
Il n'a nulle pitié pour tel que ce puisse être,
Il dévore ou détruit ceux dont il se rend maître ;
Mais telle est la nature, il n'a pas tant de tort ;
Si l'on ne peut nier ce point incontestable,
On est forcé de demeurer d'accord,
Qu'en suivant tous ses goûts, l'homme n'est pas coupable ;
Et le seul droit réel, est le droit du plus fort.
Hobbes, en nous l'enseignant, nous a rendu service
Il n'est point, selon lui, de vertu ni de vice ;
Mais jamais ses écrits ne vous sont parvenus ?
Quoi qu'ils ne me soient pas tout-à-fait inconnus,
Dit Phélénon, j'en fais rarement la lecture ;
Je connais un livre plus sûr
Pour celui qui possède un sens droit, un cœur pur,
C'est le livre de la nature,
Toujours ouvert à quiconque veut voir,
Tout m'y retrace mon devoir.
L'industrieux Castor, l'Abeille vigilante,
M'inspirent le goût du travail ;
Et la fourmi si prévoyante,
Me dit d'élever du bétail,
De labourer, d'ensemencer ma terre,
De prendre des précautions
Pour ne pas périr de misère,
En manquant de provisions ;
De m'en tenir surtout à mon partage,
Pour éviter toutes discussions,
De ne pas piller l'héritage
D'un voisin, qui piqué de mes incursions,
Viendrait porter chez moi la guerre et le ravage.
Le Pélican prêche la charité,
Quand sa languissante couvée,
Pour réparer sa débile santé,
Est, du sang paternel, amplement abreuvée.
Les oiseaux construisant leur nid,
M'enseignent les devoirs d'un père ;
La Chèvre allaitant ses petits,
Montre ceux d'une tendre mère.
La confiante Colombe, au cœur tendre et loyal,
Me fait aimer les lois de l'amour conjugal.
Le Chien qui m'accompagne et qui défend ma vie,
Me force à le chérir d'une égale amitié ;
La gratitude et la pitié,
Entrent par ce moyen dans mon âme attendrie ;
Les Perdrix qui toujours vivent en compagnie,
De la société me tracent le tableau ;
Elles ont comme nous quelques célibataires
Gens dangereux, inutile fardeau !
Mais elles ne les souffrent guère,
Et les chassent de leur troupeau.
Voilà suffisamment d'exemples, ce me semble,
Que l'homme devrait imiter.
Il faut maintenant que j'assemble
Ceux qu'on doit surtout éviter.
Voudrais-je avoir le fol babil des pies,
Du Paon la sotte vanité,
Du Corbeau a voracité,
Qui se repaît de chairs pourries ?
Quand je vois un Lion, de sang tout dégouttant,
Qui terrasse et déchire une innocente proie
Qui dévore le cœur d'une Agneau palpitant,
Puis-je en ressentir quelque joie ?
Non. Il m'inspire la terreur,
Son action, que je déteste,
Me révolte et me fait horreur.
Je fuis aussi comme la peste,
Le dangereux serpent, dont le venin,
A tous les animaux funeste,
Introduit la mort dans mon sein.
Quand tout prêche cette maxime ;
Soyez juste, fuyez le crime.
Par quel malheur voit-on dans l'univers,
Tant de fous, tant d'hommes pervers,
Vrais serpents dont la calomnie,
Répand les poisons meurtriers,
Loups ravissants, remplissant leurs charniers,
D'innocents animaux qu'ils privent de la vie ?
Pourquoi tant de voleurs, d'assassins, de bandits,
Qu'on aurait dû punir, sont-ils dans l'abondance,
Quand tant d'honnêtes gens, persécutés, honnis,
Ont à peine leur subsistance ?
En voyant ce mélange et de biens et de maux,
On ne peut s'empêcher de dire,
Que de tous les animaux,
Que le Ciel tient sous son empire,
Si l'homme est le meilleur, il est aussi le pire.
Mais faut-il, pour cela, porter l'impiété,
Jusqu'à s'en prendre à la divinité ?
Faibles mortels ! dites-nous, si ses vues
Vous sont entièrement connues ?
Si vous savez quel est son but ?
Non ! Eh bien ! respectez sa puissance infinie
Et ne vous croyez pas du monde le rebut.
Pensez, plutôt que dans une autre vie,
Ce désordre apparent se trouve réparé,
Là, du très-haut, la justice accomplie,
Procure au sage un asile assuré ;
Là, du méchant, l'âme éclairée,
Par les tourments purifiée,
Devient juste et par moyen,
Tout est dans l'ordre, tout est bien.

Livre I, fable 1




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