Un jour, un esprit fort, qui n’avait point d’esprit,
Cherchait partout un guide, au fond de la campagne.
Il voulait un brave homme; il le trouva, le prit
Pour compagnon (c’était, je crois, en Allemagne).
Il avait beaucoup d'or et de bijoux sur lui,
Et devait traverser une forêt voisine,
Nos hommes sont en route; on cause et l’on chemine.
« Que fais-tu, dit le riche, et quel est ton appui ?
As-tu de la famille ?...
Je suis batteur en grange, et mon appui c’est Dieu ;
Jai six enfants, dit-il, pourtant ma gaité brille,
Etsi je souffre en ce bas lieu,
Mon repos est.au ciel avec mon espérance.
O mon pauvre homme ! va, reprit le voyageur,
Ce n’est pas 1a ce que je pense;
Il n’est ni Dieu ni récompense ;
Et le bonheur,
Et le malheur,
Tout s’anéantit sur la terre! »
Pour l’ouvrier ce fut comme un trait de lumière...
On était à moitié forêt,
A l'heure où le jour disparait.
Tout à coup le pauvre s’arrête,
Et, relevant la tète :
¢ Eh bien! monsieur, dit-il, puisqu’il en est ainsi,
Puisqu’il n’est point de Dieu, point de témoins ici,
Je vais vous arracher la vie.
Du moins j’aurai de l'or, et, cessant de souffrir,
De tous biens je pourrai jouir. »
Le riche effrayé le supplie,
En se jetant à ses genoux,
De calmer enfin son courroux.
« Il est, dit-il, un Dieu qui punit, récompense !
Ami, j’avais perdu esprit ;
Ne conserve pas souvenance
De tout le mal que je t'ai dit. »
Le brave paysan alors se mit à rire
Et se contenta de lui dire :
« Respectez plus, une autre fois,
Le pauvre ainsi que sa croyance:
Si Dieu ne parle pas à votre conscience,
Soumettez-vous du moins aux lois
De la raison, de la prudence. »