Un renard plein d’esprit, d’adresse, de prudence,
À la cour d’un lion servoit depuis longtemps ;
Les succès les plus éclatants
Avaient prouvé son zèle et son intelligence.
Pour peu qu’on l’employât, toute affaire alloit bien.
On le louoit beaucoup, mais sans lui donner rien ;
Et l’habile renard étoit dans l’indigence.
Lassé de servir des ingrats,
De réussir toujours sans en être plus gras,
Il s’enfuit de la cour ; dans un bois solitaire
Il s’en va trouver son grand-père,
Vieux renard retiré, qui jadis fut visir.
Là, contant ses exploits et puis les injustices,
Les dégoûts qu’il eut à souffrir,

Il demande pourquoi de si nombreux services
N’ont jamais pu rien obtenir.
Le bon homme renard, avec sa voix cassée,
Lui dit : Mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau, mon cousin, est mort dans ce terrier :
C’est moi qui suis son héritier,
J’ai conservé sa peau ; mets-la dessus la tienne,
El retourne à la cour. Le renard avec peine
Se soumit au conseil. Affublé de la peau
De feu son cousin le blaireau,
Il va se regarder dans l’eau d’une fontaine,
Se trouve l’air d’un sot, tel qu’était le cousin.
Tout honteux, de la cour il reprend le chemin.
Mais, quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d’esclaves, de flatteurs,
Comblé de dons et de faveurs,
Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage :
Il étoit grand visir. Je te l’avais bien dit,
S’écrie alors le vieux grand-père ;
Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire,
Doit d’abord cacher son esprit.

Livre III, fable 17




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