Le Renard pris dans son propre piège Simon Pagès (17ème siècle)

O Jupiter ! Quelle pitance!
Comment ! depuis l’aube du jour
Tout gibier fuit de ma présence !
Au moment où Phébus va terminer son tour,
Un levreau pour faire bombance !
Aimable et chère Providence !
Qui ne lourait pas ton amour
Pour la gent renardine ? O sage prévoyance !
Ainsi seulet philosophait
Un renard des plus fins, et surtout plein d’adresse
A l’aspect d’un levreau trouvé pris au lacet.
De la machine ronde il vante la finesse ;
Puis il déplore le trépas
De celte malheureuse bête ;
Puis il prélude à l’immense repas :
Lorsqu’il a dévoré la tête,
Il tourne, tire à lui. Voilà tout le levreau.
Pour exprimer sa joie, il fait Dieu sait quel saut !
Il va, revient, autour fiait quatre pas.
Artiste , en son chef il rumine
Si pour son compte il ne la tendra pas.
En architecte il examine
Sa tige allongée en piquet,
Du fil de fer la forme rondelette.
« Voici, dit-il, un grand secret
Pour tous les jours nous faire fête. »
Le nœud coulant lui-même s’agrandit,
S’arrondit,
Et le compère en fait une amusette,
Présente son museau pointu :
Zeste , aussitôt il le retire,
Se rit de la machine. « O le charmant pendu
Que je serais ! dit-il…. Ne veux-tu pas ? veux-tu ?
Le drôle alors, comme pour rire,
Passe sa patte , et fortement il tire.
Pour l’arracher il tire… ô regret superflu !
Il tire encore… Hélas ! le pauvre sire
Est pris ; et plus il tire fort,
Plus inutile il rend l’effort ;
Il tire à gauche , il lire à droite ;
Il fait toujours sa prison plus étroite.
Le gros Jeannot arrive enfin
Du champ voisin.
En voyant cette double proie,
Jeannot ne se sent pas de joie.
« Te voilà ! fin matois ! » Il vous l’assomme, et, crac
Il vous le met au fond du sac.
A ses amis en racontant l’histoire,
Le verre en main, il disait à Grégoire :
« Belle chose est l’esprit ! mais très-sot est celui
Qui ne profite pas des sottises d’autrui ! »

Méfions-nous d’un stratagème,
Et ne jouons jamais avec le péril même.

Livre III, Fable 13




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