Le Renard qui prêche Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
Mais instruit, éloquent, disert,
Et sachant très bien sa logique,
Se mit à prêcher au désert.
Son style étoit fleuri, sa morale excellente.

Il prouvoit en trois points que la simplicité,
Les bonnes mœurs, la probité,
Donnent à peu de frais cette félicité
Qu’un monde imposteur nous présente
Et nous fait payer cher sans la donner jamais.
Notre prédicateur n’avoit aucun succès ;
Personne ne venait, hors cinq ou six marmottes,
Ou bien quelques biches dévotes
Qui vivoient loin du bruit, sans entour, sans faveur,
Et ne pouvoient pas mettre en crédit l’orateur.
Il prit le bon parti de changer de matière,
Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
Contre leurs appétits gloutons,
Leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à ses sermons :
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvoient mille charmes ;
L’auditoire sortoit toujours baigné de larmes ;
Et le nom du renard devint bientôt fameux.
Un lion, roi de la contrée,
Bon homme au demeurant et vieillard fort pieux,
De l’entendre fut curieux.
Le renard fut charmé de faire son entrée
A la cour : il arrive, il prêche et, cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante
Les féroces tyrans des bois,
Peint la faible innocence à leur aspect tremblante,

Implorant chaque jour la justice trop lente
Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
Se regardaient sans dire rien ;
Car le roi trouvait cela bien.
La nouveauté parfois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
Fit venir le renard : vous avez su me plaire,
Lui dit-il, vous m’avez montré la vérité ;
Je vous dois un juste salaire :
Que me demandez-vous pour prix de vos leçons ?
Le renard répondit : sire, quelques dindons.

Livre III, fable 7




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