Une Assemblée chez les Corbeaux Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

Progrès, franchise, liberté
Sont mots inscrits sur la bannière
Je ne dis pas des gens de la cité,
Mais des savants de la chaumière.
Savants ! oui, les beaux-esprits
Se glissent partout, et je pense
Qu'en France,
Avant dix ans, nous aurons les écrits
De gens qui ne savent pas lire...
Voyez déjà la foule d'érudits
Qui tourbillonne ! Les proscrire
Serait de mauvais ton; mais j'oserai leur dire:
« Messieurs, avant que de nous gouverner,
Et de nous condamner
Comme êtres rétrogrades,
Bref, de nous faire essuyer vos boutades,
Réfléchissez : oubliez-vous...
Tuteurs de la chose publique,
Ne nous donnez état démocratique
(Que cela soit dit entre nous )
Que le jour où les richesses,
Des dictateurs ordinaires prouesses,
Ne tenteront plus vos cœurs.
Oui, renoncez aux honneurs,
Aux titres, aux rubans, pareilles bagatelles...
Montrez-vous parfaits modèles
De désintéressement;
Donnez-nous lois et franchises,
En un mot gouvernement
A bon marché : ce sont clauses promises
Chaque matin,
Mais jusqu'ici remises
Au lendemain.
Vous me direz : « Difficile est l'affaire... »
Brûlez donc circulaire
Incendiaire,
Et rendez aux Français
Ce qu'ils ne rejettent jamais,
La paix sans honte,
La guerre sans mécompte;
Ayant tout, haine aux Anglais.
Maintenant écoutez mon conte.
Nosseigneurs les corbeaux
Un jour se mirent en tête
De fabriquer codes nouveaux
L'on fit enquête
Chez un praticien
Qui connaissait les coutumes.
On lut et relut les volumes
Intitulés le Mien;
Et tout cela pour le bien
Du seigneur béotien:
Vous m'entendez, du peuple toujours dupe
Des preuves du logicien
Qui jour et nuit s'occupe
Des intérêts du plébéien.
Dès qu'on eut donc compulsé les registres,
Les gros bonnets furent nommés ministres
Et rapporteurs,
Puis orateurs
Du projet que l'assemblée,
A l'ordre souvent rappelée,
Entendit tout au long.
Un corbeau furibond
Se lève, en fait la satire
En osant dire
Que les gens du bureau,
Président et secrétaires,
Ne pensaient qu'à leurs affaires,
Puis à partager le gâteau...
Ce mot lâché, bruyant tapage,
Tumulte scandaleux
Capables d'effrayer les cieux,
Ont agité l'aréopage.
Esprits sensés craignirent le carnage ;
Car des opposants la rage,
Arrivée au dernier degré,
Pouvait frapper à son gré
Dans celte affreuse bagarre.
Enfin ce tintamarre
S'apaisa;
Et le ministre proposa
D'amender chaque paragraphe
De bonne foi...
De ne pas poser épitaphe
Sur une aussi bonne loi.
Discours insinuant, habile,
Et calme et rend docile
L'aréopage corbeau,
Qui fut pris au gluau.
Car je ne sais par quelle ruse
Le projet amendé
Dépassa le but demandé.
Donc le bon peuple buse
(Qui sut toujours se résigner),
Au changement loin de gagner,
Fut surchargé de corvées
Et de tributs et de levées.

Et c'est bien fait. Le code le meilleur
Sera toujours celui qu'un père,
Un bon prince, au noble coeur,
A ses peuples confère;
C'est un bienfait que je préfère
Aux beaux projets du plus savant docteur.

Livre II, fable 14




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