Que l'art de gouverner est un art difficile !
Je plains les peuples et les rois
Engagés dans les rets d'un diplomate habile,
Mais qui se joue et des dieux et des lois.
Monarques et sujets, étouffez ce reptile ;
Si vous le réchauffez il vous dévorera
Un singe, agile saltimbanque,
S'étant fait recevoir docteur de Salamanque
Et d'autres lieux, délibéra
Sur le parti qu'il devait prendre.
En fait de tours il en pouvait revendre :
C'était un fin matois plus rusé qu'un renard;
Lançant, fort ) propos, sa pointe et son brocard;
Bouffi d'orgueil, toutefois populaire ;
A l'agneau comme au loup se rendant nécessaire
Partant la politique était vraiment le lot
Du magot :
Son pédantesque verbiage
Du bon peuple dindon enlève le suffrage.
Le drôle fait sa cour au seigneur léopard
Par un maintien pieux. Bientôt notre cafard
Soumet petits et grands au pouvoir de sa batte.
Or, par degrés, le rusé diplomate
S'avance, puis saisit les rênes de l'Etat
Non, jamais l'on ne vit plus taré potentat.
Contre le roi lion il arme la panthère,
L'agneau contre l'agneau, le fils contre le père :
Par les renards, ses messagers,
Il vend brebis aux loups, et les loups aux bergers :
Rien ne peut échapper à sa scélératesse.
Ses tours et sa souplesse
Mettent rois et sujets à sa discrétion.
Le voyez-vous sourire à chaque trait qu'il lance !
Veut-il perdre un rival ? il le flatte et l'encense,
Il couvre ainsi le feu de son ambition.
Pour apaiser les sots, vite une cabriole :
Mais les grands? Un protocole
Calme tout,
Et vous les leurre jusqu'au bout.
Le singe diplomate arrangeait ses affaires
En brouillant celles d'autrui.
Un chroniqueur soutient qu'en ses Catilinaires
Cicéron eût parlé de lui,
Si dans Rome eût vécu ce prince des faussaires :
Près de notre magot Verres n'est qu'un faquin;
L'affreux Gatilina n'est qu'un obscur coquin.
Quoi qu'il en soit, parcourant ses provinces,
Le roi lion attendait de deux princes
Qui jusqu'alors s'étaient montrés soumis,
Le tribut du vasselage
Et l'hommage
Que seuls refuseront les vassaux ennemis.
Mais il voit insulter sa royale personne!
Il bat ses flancs, rugit, se hérissonne
— Je le crois; qu'advint-il de ce noble courroux ?
— D'innombrables avantages ;
Car le roi connut les dommages
Faits à lui, faits à tous.
Sa royauté n'est plus qu'une ombre,
Et des protocoles sans nombre
A l'étranger ont livré sts Etats.
Mille autres attentats
Révèlent que le singe a vendu les victoires,
Flétri les gloires
Chères au peuple et que son sang payait:
Pour quelques pots-de-vin le magot les livrait,..
Sa trame est découverte:
Avecque ses sujets le prince se concerte
Pour flétrir à jamais l'infâme sapajou.
Chats, agneaux et dindons, vous te happant au cou,
L'étranglant sans merci, jettent à la voirie
Ce fléau de la bergerie.
Les ennemis du roi frémissent de terreur...
Mais le peuple retrouve et la paix et l'honneur,

Avouons, tous tant que nous sommes,
Qu'il est des animaux plus sages que les hommes.

Livre II, fable 13




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