Le Singe et le Marchand et tableaux Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un jour, un singe apprend
Que la philosophie
Enseigne l'art de jouir de la vie.
Or, chez un philosophe à la hâte il se rend,
Et dit: « Pour vivre heureux comment donc faut-il être ?
— Sache, répond gravement le docteur,
Que, pour goûter le vrai bonheur,
Il faut apprendre à se connaître. »
Puis, tout bas, le singe se dit:
« La chose est fort obscure ;
Mais les voyages à l'esprit
Donnent de la culture ;
Partons ! « et le voilà parti.

Dans une ville, il arrive à la foire ;
Chez un grand marchand de tableaux,
Pour s'instruire, il s'arrête ; à former sa mémoire
11 veut là s'occuper comme d'autres badauds :
Comme eux, il aime les images,
Admire cent beautés dont le teint animé
Et les beaux yeux bleus l'ont charmé.
Il n'a vu nulle part d'aussi jolis visages.
De voir, il ne peut se lasser ;
Mais à d'autres il veut passer,
Et son regard tombe -sur une glace ;
O surprise ! il voit là, pour la première fois,
En frémissant, son grotesque minois ;
Aux portraits comparant sa face,
Il s'écrie : « Ah ! quelle horrible grimace !
— Ce sont tes traits, dit le marchand.
— Mes traits ! tu te moques, je pense ;
Un tel propos m'offense.
— Viens t'en convaincre en y touchant. »
Puis il lui démontre la chose
Si bien, qu'il reste convaincu.

« Le trompeur philosophe ! il cause,
Dit le singe éperdu,
Le malheur de ma vie !
Pour être plus heureux,
De me connaître j'eus envie,
Hélas ! je me connais, et mon sort est affreux ! »

Si pour le cœur, pour l'âme,
Il était un pareil miroir,
Que de gens, que l'on croit sans blâme,
S'effaraient de s'y voir.

Livre II, fable 13




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