Le Dogue et le Singe Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un chien de basse-cour a peu vu de grand
Et s'encanaille assez par goût ;
Pourtant, sans qu'il sache, après tout
Sur quel saint son espoir se fonde,
Comme un autre il a des projets.
Ce n'est point à ces plats sujets
Que sourit le moins la fortune.
Nous disons donc qu'un chien de basse-cour,
Un grand mâtin de dogue, à la face commune,
Prit, ou trouva, je ne sais plus quel jour,
Une peau de tigre superbe.
Quelle joie il sentit, en voyant ce trésor !
Pour lui c'était comme pour nous de l'or.

Pour s'aviser, il s'étendit sur l'herbe,
Admira sa trouvaille, et bâtit des châteaux,
Gomme on dit, en Espagne.
Où va-t-il ? parcourir la ville et la campagne,
Pour montrer sa parure à tous les animaux.
Quel triomphe ! on dira : C'est un tigre d'Afrique !

Voilà qu'il part, couvert de sa peau magnifique ;
Chaque chien l'admire, en effet,
Et le salué avec respect.
Par malheur, bien qu'il crût être une haute altesse,
Notre dogue sentit toujours la basse-cour,
Avec des roquets, tour à tour,
S'étrillait, se léchait, et, lier avec bassesse,
Pour un os, dans la boue oubliait sa noblesse.
Un singe de bonne maison,
Outré de voir ce personnage,
Le mit un jour à la raison
En lui tenant à peu près ce langage :

« Un parvenu, mon cher, dût-il à tous les yeux
Étaler son clinquant, vouloir payer de mine,
Aura peine à tromper sur sa basse origine :
Il a beau miroiter, il sera toujours gueux ! »

Livre VI, fable 14




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