Le Loup et les Lapins Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

N'est point vertueux qui veut l'être,
Et le promettre c'est beaucoup ;
Car pour cela, je crois, il faut bien se connaître.
Écoutez, cher lecteur, cette histoire d'un loup,
Et vous en jugerez vous-même.

Or, un vieux loup, d'une maigreur extrême,
D'un appétit glouton,
Venait de dépecer un lièvre,
Deux agneaux, un mouton,
La moitié d'une chèvre,
L'oreille du berger,
Et de son chien la queue entière.
Ce n'est point un repas léger,
A digérer il eut matière.
Le ventre ainsi garni,
Le loup doucement se promène ;
Je tiens ce fait de Sonnini.

Il se couche à l'ombre d'un chêne,
Pour faire sa digestion ;
Puis, sur les crimes de sa vie,
Entame une réflexion :
« Ma rage enfin est assouvie,
Dit-il, j'ai trop versé de sang,
Et la vertu seule, dans ma vieillesse,
Peut me sauver de la faiblesse
D'aimer les moutons gras ; je jure... » En cet instant,
De lapins toute une famille
De son terrier sort à la file,
Et, pleine de sécurité,
Vient se camper sur la verdure
Pour prendre son goûté
Au sein de la nature.
Mais, ô frayeur ! voilà que tout à coup
Père lapin a remarqué le loup...
Tremblant, il jette un cri d'alarme,
Autour de lui rassemble ses enfants...

« Qu'il n'en coûte pas une larme,
Dit le hère à ces innocents,
Je ne suis plus le même. Oh ! j'abhorre le crime,
Et je suis bien encor digne de ton estime. »

Notre lapin, là-dessus, poliment
A son pique-nique l'invite ;
Sir loup remercie humblement,
Prolonge sa visite,
Joue avec les petits,
Saute, agace, caresse,
Du père pour les bis
Admire la tendresse,
Et convient que le vrai bonheur
Est dans l'ineffable douceur
De s'aimer au milieu d'une famille unie.
« Je vais, dit-il, rassembler mes enfants ;
Avec eux, comme vous, vivre en bonne harmonie,
Et me pâmer dans de beaux sentiments. »

Sans qu'on y songe, ainsi le temps s'écoule,
El notre loup déjà se sent quelque appétit.
Son œil devient farouche, avec ardeur se roule,
Et dévore, de loin, l'hôte qui lui sourit ;
Il va, vient, tourne autour, flatte, lèche un petit
Et le pousse à l'écart, de tous côtés regarde,
Et puis, d'un coup l'avale sans moutarde,
Tant poil que peau ; personne ne l'a vu.
Le goût revient ; adieu, beaux projets de vertu !
De la troupe un second, avec beaucoup d'adresse,
À part est attiré... le pauvre lapereau
Près du frère est logé, sans prévoir sa détresse !
Cinq, six, sept ont ainsi disparu du troupeau,
Et le père lapin commence
A s'apercevoir du déchet,
Prie au vol, à la violence,
Et court dans son terrier en fuite se cacher.
Notre loup a repris sa rage,
Sur les fuyards se jette avec férocité,
En fait un horrible carnage.
Du repentir qu'il avait projeté
Que reste-t-il ? le regret bien coupable
De lui voir échapper un lapereau mangeable !
Pour excuse, le loup m'a dit :
« La nature ainsi m'a bâti ! »

Le désir satisfait, il nous semble facile
D'abjurer ;une passion ;
Mais la vertu n'est qu'un mot inutile,
Si de tomber dans la tentation
L'on n'évite l'occasion.

Livre VI, fable 13




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