Le Renard, le Loup et le Maître Emile Erckmann (1822 - 1899)

Méfions-nous des conseilleurs,
Ils ne sont jamais les payeurs.
Ce proverbe se justifie
Dans tout le cours de notre vie...
Le plus fin des renards alla trouver un loup
En qualité de diplomate :
« Monseigneur, lui dit-il, si vous avez le goût
Du lièvre, du chevreuil et du cerf, je me flatte
De vous procurer un régal
Vraiment royal.
Voyez d'ici cette muraille
Qui serpente par les forêts :
C'est le fameux parc des genêts.
Là, s'entassent dans les broussailles,
Sous le feuillage des taillis,
Des masses de gibier. C'en est un vrai fouillis.
A l'ombre du hêtre et du chêne
Le cerf gravement se promène ;
Au moindre bruit on voit, soudain.
Partir le chevreuil et le daim.
Dans son sillon le lièvre rêve,
Et devant votre nez se lève...
Je ne parle pas des faisans
Dont les renards sont partisans...
— C'est donc un pays de Cocagne ?
Lui demanda le loup. Mais comment le sais-tu ?
— De la grille là-bas, monseigneur, je l'ai vu.
— Allons-y voir, je t'accompagne. »
Maître renard, dans son rapport,
N'avait omis qu'un point ; c'est qu'un matin très fort,
Chargé de veiller au grillage,
Étranglait les loups au passage.
Cet être très rébarbatif
Aimait à tailler dans le vif.
Ils arrivent donc à la porte
Où le concierge est en arrêt,
Le renard, que la peur emporte, '
Dans la broussaille disparaît.
« Que viens-tu faire ici, canaille ?
Je vais te fournir du butin ! »
Dit en hurlant le gros matin.
Le loup accepte la bataille ;
Notre renard en est témoin,
De loin.
A chaque grand coup de mâchoire,
Le gueux criait : Vive la gloire !
Après s'être bien dépecés,
Nos deux combattants, harassés
Et tout en sang, font une trêve.
Ils en avaient chacun assez.
Ainsi, la campagne s'achève.
Le loup piteux gagne le bois...
« Gueux de renard, je te revois !
Dit-il en retroussant la lèvre,
Tu m'as régalé d'un beau lièvre ! »
Le diplomate fort prudent,
Sans attendre le coup de dent,
Se faufile dans la bruyère,
Et disparait dans sa tanière...
Depuis, les loups et les renards
Se jettent de mauvais regards.
Etant toujours en méfiance,
ils se maintiennent à distance.

Livre III, fable 12




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