Le Loup, le Renard et le Berger Romain Nicolas du Houllay (début 19è)

Pressentant de l'hiver la rigoureuse approche
Un loup avait remonté son charnier.
À l'entour de son fort sous mainte et mainte roche
Là gisait un mouton entier,
Ici le train d'une génisse,
Plus loin d'un bœuf l'énorme cuisse,
Partout enfin quelque friand morceau,
Malgré chiens et bergers, pris sur quelque troupeau.
Tant de provisions ayant de sa cuisine
Pour très-longtemps fermé la porte à la famine,
Le larron était donc heureux,
Si toutefois on le peut être
Environné de biens nombreux,
Mais que le crime a seul fait naître.
Quoi qu'il en soit, fût-ce hasard
Ou du courroux céleste
Un effet justement funeste,
Certain renard
Qui lui sut tant de biens en conçut de l'envie,
Et, pour les lui ravir, s'arma de perfidie.
Le croqueur de poulets, le preneur de lapins
Pour la dure saison n'avait nuls magasins.
Si j'allais, se dit-il, dénoncer au village
Et le logis du loup, et les divers réduits
Qui de son brigandage
Recèlent tous les fruits,
Du pâtre et du berger, sans doute en récompense
J'aurais toute cette chevance.
Tout plein de ce projet
Pour le village il part plus rapide qu'un trait ;
Mais le sort fait qu'en chemin il rencontre
Guillot et son troupeau,
Venez, dit-il, venez que je vous montre
Où loge le fléau,
Le monstre sanguinaire
Le loup dont la dent meurtrière,
De génisses et de moutons
Dépeuple ces cantons.
Je connais sa demeure.
J'ai vu chez lui vos plus belles brebis ;
Je vais, si vous voulez, vous y mener sur l'heure :
Il me croit un de ses meilleurs amis ;
Mais je le vois et le pratique,
Vous le savez, comme on fait les méchants,
C'est-à-dire, par politique.
Je t'entends,
Répond Guillot, il est trop juste qu'il périsse ;
Viens, je te suis, et d'un si bon service
Nous saurons te récompenser.
Ace mot, le renard tout transporté de joie
Croit déjà dévorer la proie
Qu'au péril de ses jours le loup sut amasser.
Vers son repaire
Il conduit donc Guillot.
Il appelle ; qui là ? c'est moi, c'est moi, compère,
Vite, vite, sortez ; que je vous dise un mot,
Vite donc. Le loup sort ; et d'un coup de massue
Guillot et l'assomme et le tue.
Puis s'adressant au perfide renard :
Tu n'as trahi le loup, dit-il, que par envie ;
Je te connais, meurs donc, infâme et vil çaffard :
Et sous un pareil coup le traître perd la vie.
De toute trahison l'on aime le profit ;
Mais rarement son auteur lui survit.

Livre II, fable 9




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