Le Loup, le Renard et le Louveteau Frédéric Jacquier (1799 - 18?)

Ayant mis ordre a ses affaires'
Par-devant maître Léopard
Et maître Singe, ses notaires,
Un loup qui se mourait fit mander le Renard.
Renard étant venu, Loup lui tint ce langage :
« Je vais, mon vieil ami, faire le grand voyage ;
Allons !... ne pleure pas, ne sois point si chagrin ;
Ne faut-il point, ami, que tout ait une fin ?
Viens... Allonge la patte... encor... que je la serre !.;.
A mon cher petit-fils lu servis de parrain ;
Promets, après ma mort, de lui servir de père,
D'avoir pitié de l'orphelin.
Je m'en irai content^ sans regrets, sans alarmes. »
Maître Renard promit, en fondant tout en larmes,
D'avoir bien soin dé son filleul.
Loup mort, on enterra le pauvre bisaïeul.
Laissons là le défunt. Fidèle à sa promesse,
Renard entoura le berceau
Du Louveteau
De vigilance et de tendresse ;
De son fils adoptif guidant les premiers pas,
H ne le quittait pas,
Lui montrant chaque jour nouvelle fourberie
Pour pénétrer la nuit dans une bergerie,
Dans une basse-cour et dans un poulailler.
Tous les petits secrets, les ruses du métier ;
Enfin, comme on soulève et l'on ouvre une porte.
Louveteau devint Loup, et l'histoire rapporte
Qu'ennuyé des conseils et des sages leçons
De son tuteur, de ses sermons,
Il se dit un beau jour : « Je suis parbleu bien bête
D'écouter ce vieillard ! Mon tuteur perd la tête :
Ce n'est plus qu'un vieux radoteur.
A mon âge ai-je donc besoin de ce censeur ?
Si je voulais le laisser faire,
On me verrait encor marcher à la lisière.
Tous ces vieillards sont fous, ma parole d'honneur !
Et le nôtre surtout est par trop rabâcheur,
Et d'une suffisance extrême.
Je suis assez savant pour me guider moi-même
Sans le secours de mon barbon.
Fuyons loin de cette maison,
Loin de ce sermonneur dont l'esprit déménage. »

Plus présomptueux que sage,
Loup fuit son bienfaiteur, se met seul-en voyage,
Puis au bout de cent pas tombe en un traquenard ;
Il se débat en vain, pleure et pense au vieillard.
Pauvre imprudent ! c'était trop tard.