Le Loup et le Renard Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un vieux loup se mourait. Compère le renard,
Qui d'un grave docteur jouait le personnage,
Ecoutait les aveux du coupable vieillard.
- Un seul souvenir me soulage,
Disait le mangeur de moutons :
Tout malade et souffrant, ces jours derniers encore
Je me traînais dans les vallons.
J'aperçois un agneau : cette pauvre pécore
Avait perdu sa mère et bêlait tristement.
Je le prends délicatement
Et dans mon antre je l'emporte.
De douleur sa mère en est morte ;
Mais lui, qui le croirait ? il est encor vivant !
- Je comprends, dit l'autre en rêvant
A cette héroïque aventure.
Tu n'as pu dévorer la frêle créature :
De tes vieux appétits le ciel était vengé.
Mais veux-tu de l'enfer ne pas subir la flamme ?
Donne au pauvre renard, qui priera pour ton âme,
Ce tout petit agneau que tu n'as pas mangé.

Ce renard fut un hypocrite,
Un trompeur, un rusé gourmand.
Mais, parmi les humains, un bon père jésuite
Aurait agi tout autrement.

Livre IV, fable 14


Symbole :

Après le règne de la force et celui de la ruse viendra le règne de la justice. Alors le plus habile sera en réalité le plus homme de bien. Ce que nous disons ici du bon père jésuite n’est pas une ironie. Les jésuites passent pour les lus habiles des prêtres, et, à ce titre, ils doivent être ou devenir les plus honnêtes des hommes.


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