L'Aveugle et le Soleil Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Soleil, divin soleil ! oh ! que vous êtes beau !
S'écriait un aveugle avec un long sourire.
Or, un passant se prit à rire,
Car du jour le brillant flambeau
Était alors caché sous un épais nuage,
La journée était chaude, on pressentait l'orage.
- Bon homme, lui dit-il, tu vois donc le soleil ?
- Oui, dans mes souvenirs, toujours jeune et vermeil,
Toujours joyeux comme l'aurore ;
Et s'il fait nuit pour vous, je le contemple encore.
L'ombre, en couvrant mes yeux, fait du jour dans mon cœur.
Du doute et de l'ennui Dieu m'a rendu vainqueur ;
Vivant pour le bénir dans une paix profonde,
Je ne me sens plus orphelin.
Je crois à la lumière, et mon âme est un monde
Qu'illumine sans voile un soleil sans déclin.

Vous qui voulez connaître et voir Dieu pour y croire,
Ignorants et faibles mortels,
Rentrez dans votre cœur pour y trouver sa gloire :
Vous verrez sa splendeur à l'ombre des autels.

Livre IV, fable 13


Symbole :

« Le monde est sans religion », disait au commencement de ce siècle le comte Joseph de Maistre avec un profond découragement. Ce génie excessif en tout se trompait : le monde n’est jamais sans religion, car la religion n’est pas tel ou tel dogme, tel ou tel culte, tel ou tel prêtre, c’est un sens intérieur de l’homme.
Tous n’ont pas ce sens, comme tous n’ont pas des yeux qui voient la lumière, mais ce sens existe, on ne saurait raisonnablement le nier ; ce sens se développe à mesure que l’intelligence de l’homme s’élève et que son cœur se purifie. De là cette parole du Maître : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !
Le Dieu des cœurs purs et des intelligences élevées n’a rien de commun avec les idoles de la foule. L’athéisme est l’acte d’un païen qui brise son idole. Pour nier Dieu, il faut connaître ce qu’on nie ; l’athée croit donc connaître Dieu, et il n’en connaît qu’une fausse et ridicule image.
Dieu se révèle à l’innocence, il parle aux cœurs purs, il éclaire les âmes justes. La voix du prêtre explique et confirme le témoignage de la conscience, et il sera reconnu un jour que l’humanité n’a jamais eu et n’a encore qu’un symbole diversement interprété : alors un souverain pontife nommé Pierre renversera les murailles qui séparent les différentes communions, déclarera que toutes les religions du monde ne sont que des fragments plus ou moins mutilés de la grande et unique Eglise catholique, c’est-à-dire universelle. Il imposera ainsi le sens catholique à toutes les professions de foi, déclarera ouvertes les portes de l’enseignement orthodoxe, et ouvrira le trésor inépuisable des indulgences pour les ignorants dans la foi. Le dogme normal sera alors celui de l’Eglise mère, tel qu’il a été défini par les Pères et par les conciles, et ceux qui le professeront seront admis à la communion sacramentelle. Mais personne ne sera exclu de la communion des mérites et des prières. Le sang de Jésus-Christ coulera alors à flots sur les Juifs et sur les gentils, et les forcera à rentrer au vrai bercail. Ceux mêmes qui maudiront l’Eglise, l’Eglise les bénira à l’exemple de son divin Maître. Saint Pierre, dans un seul coup de filet, aura englobé tout le monde et donnera réellement alors sa bénédiction apostolique : URBI ET ORBI.


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