Le pont des Arts la nuit offre un charmant coup d'œil.
On voit trembler dans la rivière
Le reflet allongé des perles de lumière
Dont Lutèce le soir couronne son orgueil.
Plus loin, de Notre-Dame et de ses tours massives
Découpant en noir les ogives,
La lune au visage changeant
Dans les flots incertains fait pleuvoir de l'argent.
Le public ne fait pas de même,
Pour un pauvre aveugle qu'il aime,
Car la foule déjà s'arrête à l'écouter
Quand son accordéon se dispose à chanter.
Un sou seulement par personne
Et la recette serait bonne ;
Mais longtemps on s'amuse et puis chacun sans bruit
S'éloigne et sans rougir surtout, grâce à la nuit.
C'est bien de l'honneur pour l'Orphée
Qui près de ses humbles tréteaux
Rassembla tous ces animaux :
Mais qu'emporte-t-il pour trophée ?
Il en est ainsi trop souvent
Pour les artistes qu'on adore ;
Ils enflent l'instrument sonore,
Et que leur reste-t-il ? Du vent.
Heureux, après un jour de lutte et de victoire,
Le poète qui peut, dans son réduit obscur,
Tremper un morceau de pain dur
Dans l'eau d'abord…. puis… dans la gloire !